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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/138

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tion : il s’efforça avec l’adresse du serpent et la douceur de la colombe de trouver un autre original à l’effigie.

« C’est fort mal, dit-il, mais non pas aussi mal que vous le supposez, squire. Ce n’est point là la forme de votre chapeau. C’est évidemment M. Stirn qu’ils ont voulu représenter.

— Croyez-vous ? fit le squire adouci. Cependant ces bottes à revers… Stirn ne porte jamais de bottes à revers.

— Ni vous non plus, si ce n’est quand vous allez à la chasse. Si vous regardez de plus près vous verrez que ce ne sont pas là des bottes, ce sont des guêtres… et Stirn en porte. De plus ce trait, qui veut signifier un nez, est une espèce de bec de perroquet dans le genre de celui de Stirn ; tandis que votre nez, sans être le moins du monde camus, est cependant un peu retroussé dans le genre de celui d’Apollon dont vous pouvez voir le buste dans le cabinet du docteur Riccabocca.

— Pauvre Stirn ! fit le squire d’un ton de compassion qui cependant n’était pas exempt d’une certaine satisfaction ; voilà ce qu’on gagne dans ce monde à être un serviteur fidèle, à faire son devoir avec zèle. Mais vous voyez que les choses ont pris une singulière tournure et qu’il s’agit maintenant de savoir quelle route suivre. Les mécréants ont jusqu’à présent défié toute vigilance, et Stirn est d’avis qu’il faut établir un guetteur de nuit avec une lanterne et une trique.

— Cela, sans aucun doute, pourra protéger les ceps ; mais sera-ce un moyen de saisir les brochures qui se glissent dans le cabaret ?

— À la prochaine session nous ferons fermer le cabaret.

— Les brochures pénétreront ailleurs.

— J’ai envie de m’enfuir à Brighton ou à Leamington ; il y a de belles chasses à Leamington… Je resterai absent pendant un an ou deux pour voir un peu comment ces gueux-là feront pour se passer de moi. »

Et les lèvres du squire tremblaient.

« Mon cher monsieur Hazeldean, dit le curé en prenant la main de son ami, je ne veux pas me prévaloir de ma sagesse ; mais que n’avez-vous suivi mon avis : quieta non movere ! Y avait-il au monde une paroisse plus tranquille que la nôtre ou un squire plus aimé que vous, avant que vous n’eussiez entrepris une tâche qui a détrôné des rois et ruiné des États ? Oui, il est dangereux de ressusciter de gaieté de cœur un passé depuis longtemps oublié, soit pour réparer des choses dont on n’a que faire, soit pour remettre au jour des usages qui ne sont plus de mode. »

En entendant ce reproche, le squire, loin de se laisser aller à l’impatience qui lui était naturelle, répondit presque avec humilité : « Si c’était à recommencer, je vous jure que je laisserais la paroisse jouir en paix, de la plus misérable paire de ceps qui ait jamais déshonoré un village. J’avais eu une bonne intention : je voulais en faire un embellissement pour la place ; et n’empêche que maintenant qu’ils sont réparés, il faut qu’on les supporte. William Hazeldean n’est pas homme à se laisser mener par un tas de mauvais garnements.