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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/140

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— Quelle corde, bon papa ? lui demanda sa petite fille.

— La corde de la potence ! répondit Salomons. Le squire veut la faire attacher là-bas, à ce grand orme. Et le curé, ce bon monsieur, lui cite l’Écriture contre une idée pareille. Tiens, vois-tu, il ôte ses gants, et joint les deux mains, comme il fait quand il prie pour un malade, Jeanny. »

Cette description de l’attitude et des gestes du curé, peut donner au lecteur une idée de l’ardente insistance avec laquelle le curé plaidait la cause, dont il s’était chargé. Il appuya beaucoup sur la déférence qu’avait montrée l’étranger en priant qu’on parlât de l’affaire au squire avant de s’adresser à sa cousine. Il répéta la déclaration de Mistress Dale : « Riccabocca, dit-il, avait tant de respect pour les droits sacrés de l’hospitalité, que si le squire refusait son consentement, l’Italien retirerait immédiatement sa demande. » Miss Hazeldean à vrai dire, était majeure depuis longtemps ; le squire avait remis à sa complète disposition la fortune qu’elle possédait. M. Hazeldean était donc forcé d’avouer avec le curé qu’un prétendant anglais n’aurait peut-être pas eu des procédés aussi délicats que l’Italien. Après avoir ainsi préparé le terrain, le curé insinua avec beaucoup de tact que miss Hazeldean, devant, selon toute probabilité, se marier tôt ou tard, mieux valait pour les deux parties qu’elle épousât un homme qui, bien qu’étranger, était fixé dans le pays et présentait par ce que l’on connaissait de son caractère, de solides garanties. Cela surtout valait mieux pour elle que de s’exposer, dans les endroits où tous les ans elle allait prendre les eaux, à s’unir à quelque aventurier, quelque Irlandais, coureur de dot, qui ne l’épouserait que pour son argent. M. Dale parla ensuite des qualités louables de l’Italien. Enfin, dans une habile péroraison, il fit ressortir l’excellente occasion qu’offrirait ce mariage pour amener la réconciliation du château et de la paroisse, par le sacrifice spontané des ceps.

Lorsqu’il eut fini, le front du squire, jusque-là rêveur, se rasséréna. Il faut tout dire : le squire mourait d’envie de se débarrasser des ceps ; il ne demandait qu’à faire ce sacrifice gracieusement et avec dignité ; si toutes les étoiles du firmament se fussent réunies pour donner à miss Jemima l’assurance qu’elle trouverait un mari, elles ne l’auraient pas mieux servi auprès du squire, que ne fit le curé en lui présentant cette conjonction de l’autel et des ceps.

Aussi, lorsque M. Dale fut au bout de son discours, le squire répondit avec beaucoup de calme et de bon sens « que M. Rickeybockey s’était conduit en vrai gentleman, qu’il lui en avait beaucoup d’obligations, que pour lui, squire, il n’avait pas le droit de s’immiscer dans cette affaire, si ce n’est en donnant son avis ; que Jemima était d’âge à faire un choix elle-même ; que, comme l’avait fait entendre le curé, elle pouvait après tout rencontrer pis. J’avoue cependant, continuais squire, que malgré toute l’amitié que m’inspire Rickeybockey, je n’aurais jamais pensé que Jemima vînt à s’éprendre de sa longue figure, mais il ne faut pas disputer des goûts. Henriette a été plus fine que moi ; bien des fois, elle m’a fait des insinuations, dont je