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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/246

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de moi ; je dis commerçants et je n’ai pas à rougir d’eux. Ma sœur s’est mariée et s’est fixée loin de nous. Je me suis chargé de son fils pour faire son éducation ; mais je n’ai pas dit à sa mère où il était, ni même que j’étais revenu d’Amérique. Je voulais choisir mon moment pour cela et attendre le jour où je pourrais la surprendre en lui disant qu’elle avait non-seulement un frère riche, mais un fils dont je voulais faire un gentleman. Eh bien ! la pauvre chère femme m’a découvert plus tôt que je ne m’y attendais et est parvenue à voir le dessous des cartes en me surprenant par un tour de son invention. Je vous en prie donc, excusez le désordre que cette petite scène de famille a causé et quoique je convienne que la chose a pu paraître risible et que j’ai eu tort de dire le contraire, je suis sûr de ne pas mal juger vos bons cœurs quand je vous demande de réfléchir un moment à ce que doivent éprouver, en se revoyant, un frère et une sœur qui se sont quittés enfants. Pour moi ç’a été un événement très-heureux. Personne, je l’espère, ne saurait prendre mal ce que j’ai dit dans un premier moment. Vous souhaitant à tous une aussi heureuse famille que la mienne, tout humble qu’elle soit, je vous demande la permission de boire à vos santés. »

Des applaudissements unanimes saluèrent Richard quand il se rassit. Il paraissait avoir envisagé la chose avec tant de franchise ; sa conduite était si ouverte que la moitié au moins de ceux qui jusqu’alors l’avaient certainement pris en grippe et l’avaient déjà méprisé se sentirent fiers de connaître un homme tel que lui. Car malgré l’esprit aristocratique de notre pays, il n’est rien que les Anglais, depuis le premier jusqu’au dernier, respectent davantage qu’un homme qui de rien s’est fait quelque chose et qui l’avoue franchement. Sir Compton Delaval, vieux baronnet, pourvu d’une longue généalogie, qui avait été entraîné malgré lui à cette fête par ses trois filles non mariées (et aucune des trois n’avait encore daigné saluer leur hôte), sir Compton Delaval se leva. Son rang et sa position faisaient de lui le premier personnage de la réunion.

« Mesdames et messieurs, dit sir Compton Delaval, je suis certain d’exprimer les sentiments de toutes les personnes ici présentes, en disant que nous avons entendu avec un vif sentiment de plaisir et d’admiration, les paroles qui nous ont été adressées par notre excellent hôte. (Applaudissements.) Et si parmi nous quelques-uns, étonnés de l’incident que M. Avenel nous a justement dépeint comme une surprise, se sont laissés aller à des éclats de rire inconvenants, se raillant ainsi de sentiments sacrés, je le prie d’accepter ici nos sincères excuses. Pour moi je suis fier de ranger M. Avenel parmi les gentlemen du comté, et je le remercie de nous avoir conviés à la fête la plus brillante à laquelle il m’ait jamais été donné d’assister. S’il a gagné sa fortune honnêtement il sait la dépenser noblement ! »

On entendit siffler une nouvelle bouteille de champagne.

« Je ne suis pas habitué à parler en public, mais je n’ai pu contenir mes sentiments ; il ne me reste plus qu’à vous proposer la santé