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quelque chose dans la vie publique, carrière que ce jeune homme devait parcourir.

Il était encore à l’Université lorsque son père et sa mère moururent à quelques mois d’intervalle. Parvenu à sa majorité, il hérita de la fortune de son père, fortune qu’on supposait considérable, et qui, en effet, l’avait été autrefois ; mais le colonel Egerton avait été trop prodigue pour enrichir son héritier, et, tout compte fait, après la vente et la purge des hypothèques, on ne trouva guère que quinze cents livres sterling de rentes, là où auparavant ou aurait pu en espérer dix mille.

Cependant, Audley passait pour un homme opulent, et il se garda bien de dissiper le prestige qui l’entourait en affichant une imprudente avarice. À son entrée dans le monde, les clubs de Londres lui ouvrirent leurs portes, et, un beau matin, il se réveilla, je ne dirai pas célèbre, mais à la mode. Il sut donner à la mode même une certaine gravité et une certaine valeur ; il se lia, autant que possible, avec des hommes publics et des femmes politiques ; il réussit à confirmer chez tous l’opinion qu’il était né pour ruiner ou pour gouverner l’État.

L’ami intime d’Audley Egerton, son inséparable à Eton, était lord L’Estrange, et si Audley Egerton était à la mode, on peut dire que lord L’Estrange faisait fureur à Londres.

Harley, lord L’Estrange, était le fils unique du comte de Lansmere, gentilhomme de grande noblesse et puissamment riche, allié en outre par de doubles mariages aux plus hautes et aux plus influentes familles d’Angleterre. Lord Lansmere, néanmoins, n’était que peu connu dans les cercles de Londres. Il vivait principalement dans ses domaines, se livrant à diverses occupations de grand propriétaire, et, quand il venait dans la capitale, c’était plutôt pour économiser que pour dépenser ; aussi était-il en position de faire une belle pension à son fils, lorsque celui-ci à l’âge de seize ans, ayant déjà atteint la sixième classe d’Eton, quitta l’école pour un régiment des gardes.

Peu de gens savaient que penser de Harley L’Estrange, et c’était peut-être la raison pour laquelle on pensait tant à lui. Il avait été de beaucoup le plus brillant écolier d’Eton, non-seulement au jeu, mais à l’étude ; avec cela, il était rempli de caprices et de bizarreries ; ses dernières victoires semblaient si peu dues à une application soutenue qu’il ne laissa pas de lui une aussi bonne opinion de solide supériorité que son aîné et ami Audley Egerton. Ses excentricités, ses maximes singulières, sa manière d’agir toujours autrement que les autres, lui firent une réputation dans le grand monde, comme elles lui en avaient fait une à l’école. Sa capacité n’était pas douteuse ; l’originalité et l’indépendance de son caractère témoignaient même d’une intelligence du premier ordre. Il éblouissait le monde, sans paraître se soucier de son approbation ou de ses critiques ; il l’éblouissait en quelque sorte, parce qu’il ne pouvait s’empêcher de briller. Il avait, au point de vue de la politique et de l’économie sociale, des idées