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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/250

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veuve par ses récits sur les airs orgueilleux de l’oncle et le costume recherché du neveu, que mistress Fairfield s’était sentie prise d’une jalousie amère et insupportable. On voulait lui ravir le cœur de son enfant, lui apprendre à la mépriser ! Le silence de Léonard le prouvait bien. Cette sorte de jalousie, naturelle à toutes les femmes, est surtout très-forte chez les pauvres ; elle était d’autant plus violente chez mistress Fairfield que, seule au monde comme elle était, son fils était tout pour elle. Quoiqu’elle se fût consolée de ne plus l’avoir auprès d’elle, elle ne pouvait supporter la pensée de se voir dérober sa tendresse. De plus, elle éprouvait certains sentiments dont le lecteur jugera mieux plus tard, au sujet de la reconnaissance plus que filiale que lui devait Léonard. Bref, elle ne put supporter la pensée d’être, comme elle le disait, « mise de côté, » et après une nuit agitée, elle résolut de juger des choses par elle-même, poussée qu’elle était par les suggestions malicieuses de M. Sprott, qui se réjouissait fort à l’idée de mortifier celui qui l’avait menacé du tread-mill. La veuve se sentit irritée contre le curé Dale et contre la famille Riccabocca : elle pensa qu’ils complotaient tous contre elle ; elle ne fit donc part de ses intentions à personne ; elle partit et fit le voyage, partie sur l’impériale d’une diligence, partie à pied. Rien d’étonnant donc à ce que la pauvre femme fût si couverte de poussière !

« Ô mon enfant, disait-elle en pleurant, quand j’eus passé la grille et que j’arrivai sur la pelouse, voyant tout ce beau monde…. je me dis à moi-même (car j’avais peur !), je vas seulement le regarder un peu et je m’en retournerai. Mais, Lenny, une fois que je t’eus vu, si beau… que tu te fus retourné en criant : « Ma mère ! » mon cœur déborda, et rien n’aurait pu m’empêcher de te serrer dans mes bras, non, quand j’aurais dû en mourir. Et en te retrouvant toujours le même, j’oubliai tout ce que Sprott m’avait dit de l’orgueil de Dick. J’avisai ton oncle ; il y avait si longtemps que je ne l’avais vu… nous sommes enfants d’un même père et d’une même mère ; quoi… et puis… » La pauvre femme était suffoquée par les sanglots. « Ah ! mon enfant, retourne, retourne chez ton oncle, et ne t’occupe plus de moi. »

Ce ne fut pas sans difficulté que Léonard parvint à calmer la pauvre mistress Fairfield et obtint qu’elle allât se coucher, car elle était profondément chagrine. Il se mit ensuite à faire quelques pas sur la route en rêvant. Toutes les étoiles brillaient au ciel, et la jeunesse, dans ses moments de trouble, lève instinctivement les yeux vers les étoiles. Les bras croisés, Léonard regardait le ciel, murmurant de temps à autre quelques paroles. Il fut tiré de son extase par la voix du sommelier de son oncle qui, la fête terminée, était venu reconduire jusqu’à l’auberge un ami, qu’il régalait d’un verre de whisky. Léonard pria ce personnage de lui envoyer, en rentrant à la maison, divers objets dont il lui donna la liste : les vêtements qu’il avait apportés du casino, quelques livres, la montre du docteur Riccabocca.

M. Avenel, encore assis dans son cabinet, n’avait pas remarqué