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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/253

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vaient décrire une courbe et quitter la grande route. Entre notre piéton et l’auberge était une église nue et isolée qui s’élevait sur le pré communal. Nos pères n’eussent jamais choisi un pareil emplacement ; aussi était-ce une église récemment bâtie et d’un style également très-moderne. Elle avait un aspect triste, froid, peu fait pour attirer les fidèles, et semblait beaucoup trop vaste pour un village, dont les maisons étaient si clair-semées. Léonard s’arrêta et examina l’édifice, non avec le regard d’un homme instruit, mais avec celui d’un poète. Cette vue le mécontenta. Pourquoi ? C’est ce que se demandait notre voyageur, lorsqu’une fillette passant lentement devant lui, les yeux baissés, ouvrit la petite porte qui conduisait au cimetière, et disparut. Il n’avait pas vu la figure de l’enfant ; mais il y avait dans ses mouvements quelque chose de si triste, que son cœur en fut touché. Que venait-elle faire là ? Il s’approcha sans bruit du petit mur et regarda par-dessus avec curiosité.

Près d’une fosse, évidemment récente, la jeune fille s’était jetée à genoux et sanglotait. Léonard ouvrit la porte et s’approcha doucement. Au milieu de ses sanglots, il entendit ces phrases entrecoupées, ces exclamations passionnées et impuissantes que l’homme profère dans sa douleur :

« Mon père ! oh ! mon père ! ne m’entendez-vous plus ? Je suis seule, si seule ! mon Dieu ! mon Dieu ! Mon père, prenez-moi avec vous, prenez-moi ! »

Et elle se cachait la figure dans les hautes herbes.

« Pauvre enfant ! fit Léonard ; ce n’est pas là qu’il est, c’est au ciel ! »

La jeune fille ne prit pas garde à lui. Il lui passa doucement le bras autour de la taille ; elle fit un mouvement d’impatience, mais elle ne se retourna pas. Elle se tenait cramponnée à la terre.

Après les journées chaudes la rosée tombe plus abondante. En ce moment, le soleil se couchait et l’herbe s’imprégnait d’humidité. Un épais brouillard s’éleva. Le jeune homme s’assit à côté de la petite fille et essaya de l’attirer vers lui. Elle se retourna avec indignation et le repoussa. Il profanait un tombeau. Léonard la comprit avec son cœur de poète, et se leva. Il y eut un moment de silence. Léonard fut le premier à le rompre :

« Rentrez avec moi, mon enfant, et nous parlerons de lui en chemin.

— De lui ! Qui êtes-vous ? Vous ne l’avez pas connu, dit la jeune fille. Éloignez-vous. Pourquoi venir me troubler ? Je ne fais de mal à personne. Allez, allez-vous-en !

— C’est à vous-même que vous faites du mal, et cela lui causera du chagrin ; il vous voit d’en haut. Allons, venez ! »

L’enfant regarda Léonard à travers ses larmes, et la vue de son visage compatissant la calma et la consola.

« Allez ! dit-elle d’une voix humble et plaintive ; je ne resterai plus qu’un instant. J’ai… j’ai encore tant de choses à lui dire. »

Léonard quitta le cimetière et attendit au dehors ; peu après, la