Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/322

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qui, assis sur le lit, avait toutes les peines du monde à se tenir sur son séant. M. Douce faisait de vains efforts pour allumer une grosse pipe qu’il portait attachée à sa boutonnière et qu’il avait oublié de bourrer ; comme il lui était tout naturellement impossible de réussir, il se mit à pleurer.

Léonard était vivement irrité et révolté de cette scène, à cause d’Hélène ; mais il n’y avait pas moyen de faire entendre raison à Burley. Et comment chasser de sa chambre l’homme auquel il devait tant ? Cependant des cris discordants, des rires stupides et des fragments de chansons bachiques arrivaient aux oreilles de la pauvre Hélène, qui tremblait de tout son corps. Puis elle entendit, dans la chambre de Léonard, la voix de Mme Smedley qui faisait des remontrances. Mais Burley riait plus fort qu’auparavant. Mistress Smedley, qui était fort douce, parut visiblement effrayée, et Hélène l’entendit se retirer précipitamment. La conversation recommença ; elle fut longue et animée ; la voix de Burley dominait les autres. M. Douce faisait sa partie dans ce concert avec un hoquet discordant. Cela dura plusieurs heures, et aurait duré plus longtemps encore, si le manque de liquide ne les eût forcés de s’interrompre. Peu à peu Burley lui-même commença à parler avec moins de chaleur ; puis on entendit M. Douce descendre l’escalier, et le plus profond silence suivit son départ. À la pointe du jour, Léonard frappa à la porte d’Hélène. Elle ouvrit aussitôt, car elle ne s’était pas couchée.

« Hélène, dit-il tristement, vous ne pouvez rester plus longtemps ici. Je vous trouverai une demeure plus convenable. Cet homme m’a aidé quand j’étais sans secours et sans ami ; il me dit qu’il n’a plus de gîte, que les huissiers le poursuivent. Je ne puis chasser celui qui m’a protégé, et il est impossible que vous viviez sous le même toit que lui. Mon bon ange ! il faut que je me sépare de vous. »

Il n’attendit pas la réponse d’Hélène, et descendit en toute hâte les escaliers.

L’aurore pénétrant à travers les fenêtres sans persiennes de la mansarde de Léonard, et les oiseaux commençaient à gazouiller sur le grand orme, quand Burley s’éveilla, se détira et regarda autour de lui en ouvrant de grands yeux. Il ne pouvait se rendre compte de l’endroit où il se trouvait. Il aperçut le pot à l’eau, qu’il vida en trois gorgées, et se sentit complètement rafraîchi. Il commença alors à reconnaître la chambre, regarda les manuscrits de Léonard, jeta un coup d’œil sur les tiroirs, se demanda où diable Léonard était passé, et finit par s’amuser à jeter par terre la pelle et la pincette, à agiter la sonnette, à faire tout le bruit qu’il pouvait, dans l’espoir d’attirer quelqu’un et de se procurer son petit verre du matin.

Au milieu de ce charivari la porte s’ouvrit doucement et la douce et calme figure d’Hélène apparut sur le seuil. Burley se retourna, et tous deux se regardèrent quelques instants en silence.

Burley (avec douceur). Venez ici mon enfant. Vous êtes donc la