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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/335

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affamés, qui, par suite, inhabiles ans travaux manuels, et n’ayant aucune carrière libérale, se trouveront un jour ou l’autre dans nos rues, comme ce jeune homme, et inquiéteront des ministres plus habiles que moi. »


CHAPITRE XIII.

Devant une table, dans les appartements qui avaient été arrangés pour lui, à Knightsbridge, était assis lord L’Estrange occupé à trier ou à détruire des lettres et des papiers, ce qui indique ordinairement que l’on est sur le point de changer de résidence.

La main de lord L’Estrange reposait en ce moment sur une lettre d’une écriture italienne, droite et lisible ; au lieu de la ranger, comme il avait fait des autres, il l’étala devant lui et en relut le contenu. C’était une lettre de Riccabocca, qu’il avait reçue quelques semaines auparavant et qui était ainsi conçue :

LETTRE DU SIGNOR RICCABOCCA À LORD L’ESTRANGE.

« Je vous remercie, mon noble ami, de votre confiance en mon honneur et de votre respect pour mes malheurs.

« Non et trois fois non, à toute concession, à toute ouverture, à tout pourparler entre Giulio Franzini et moi.

« Laissons-là ce sujet. Mais vous m’avez alarmé. Cette sœur ! je ne l’ai point vue depuis son enfance, mais elle a été élevée sous son influence ; elle ne peut agir que comme son instrument. Elle désire connaître le lieu de ma résidence ! ce ne peut être que dans un but d’hostilité. Je puis avoir confiance en vous, je le sais. Vous dites que je puis me fier également à la discrétion de votre ami. Excusez-moi, ma confiance n’est pas aussi élastique. Un mot peut révéler ma retraite. Mais, si elle vient à être découverte, quel mal peut-il en résulter, direz-vous ? Un asile anglais me protège contre le despotisme autrichien. C’est vrai, mais la tour d’airain de Danaë serait impuissante à me protéger contre la ruse italienne. Il serait d’ailleurs insupportable pour moi de vivre sous les yeux d’un impitoyable espion, lors même que je n’aurais rien de plus à redouter. Notre proverbe dit avec vérité : « On dort mal, quand un ennemi veille près de vous. » Voyez-vous, mon ami, j’en ai fini avec mon ancienne existence, je veux m’en défaire comme un serpent se dépouille de sa peau. Je me suis refusé tout ce que les exilés regardent comme une consolation. Ni la pitié qui s’attache au malheur, ni les correspondances d’une sympathique amitié, ni les nouvelles d’un pays perdu pour moi et dont je suis à jamais privé, ne m’ont suivi sous un ciel étranger. J’ai renoncé vo-