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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/358

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mal ce que je vous dis. En tout cas, s’il avait besoin de quelqu’un, n’aurait-il pas dû s’adresser à sa mère ? Que diable ! (ici le squire s’échauffa) suis-je donc un tyran, un pacha, pour que mon fils ait peur de me parler ? Parbleu ! je le lui accorderai son pardon !

— Excusez-moi, monsieur, dit Randal, prenant tout à coup cet air d’autorité qui trouve sa justification et sa convenance dans une intelligence supérieure, mais je vous adjure de ne manifester aucune colère de ce que Frank a fait de moi son confident. J’ai acquis quelque influence sur lui. Quoi que vous puissiez penser de ses extravagances, je l’ai sauvé de plus d’une faute, je l’ai empêché plus d’une fois de faire des dettes : un jeune homme écoutera toujours plus volontiers quelqu’un de son âge, que le meilleur ami qui serait déjà vieux. Croyez, monsieur, que je parle dans votre intérêt autant que dans celui de Frank. Permettez-moi de conserver cette influence sur lui, et ne lui reprochez pas la confiance qu’il a placée en moi. Faites-lui croire plutôt que j’ai contribué à diminuer le mécontentement que vous auriez pu éprouver sans mon intercession. »

Dans les paroles de Randal, il paraissait y avoir tant de bon sens, tant de bonté et de désintéressement que la pénétration naturelle du squire fut déconcertée.

« Vous êtes un bon garçon, dit-il, et je vous suis très-obligé. Eh bien ! je comprends qu’un jeune homme ne peut pas avoir la raison d’une tête à cheveux blancs, et je vous promets de ne prononcer devant Frank aucune expression de cogère. Le pauvre garçon doit être très-affligé, et il me tarde de lui donner une poignée de main. Ainsi, tranquillisez-vous.

— Ah ! monsieur, dit Randal, faisant paraître une grande émotion, votre fils a bien raison de vous aimer ; et ce doit être une chose difficile pour un aussi bon cœur que le vôtre de conserver à son égard une juste sévérité.

— Oh ! je ne manque pas de sévérité, dit le squire, surtout quand il n’est pas là ; c’est un bon diable, le vrai portrait de sa mère, ne trouvez-vous pas ?

— Je n’ai jamais vu sa mère, monsieur.

— Bah ! vous n’avez jamais vu mon Henriette ? Il ne faut plus que vous puissiez dire cela ; vous viendrez nous faire une visite. Je suppose que mon beau-frère vous le permettra.

— Certainement, monsieur. Ne profiterez-vous pas de ce que vous êtes en ville pour aller le voir ?

— Moi, non ! il croirait que j’attends quelque chose du gouvernement. Dites-lui qu’il faut que les ministres marchent plus droit qu’ils ne font s’ils veulent que je vote pour leur candidat. Mais allez ; je vois que vous êtes impatient de dire à Frank que tout est oublié et pardonné. Venez dîner ici avec lui à six heures, et dites-lui d’apporter ses mémoires dans sa poche. N’ayez pas peur, je ne le gronderai pas.

— Quant à cela, dit Randal en souriant, pardonnez-moi, mais il me semble que vous êtes un peu trop indulgent ; de même que vous