Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/370

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Ses cheveux étaient de ce brun doré, dont les peintres italiens tirent de si merveilleux effets, et si un fil argenté brillait çà et là au milieu de leurs boucles, il était presque aussitôt noyé dans leurs ondes épaisses. Ses yeux étaient de couleur claire, et son teint, sans être très-coloré, d’une transparence merveilleuse. On eût pu reprocher à sa beauté quelque chose d’efféminé sans l’élévation de sa taille, dont la force musculaire était plutôt ornée que déguisée par une admirable élégance de proportions. On n’eût pas deviné en cet homme un Italien, on l’eût plus volontiers pris pour un Parisien, car il s’exprimait en français ; ses vêtements étaient d’une coupe française, et ses idées paraissaient également françaises. Non qu’il ressemblât au Français de ce temps-ci, animal rogue ou impoli, mais à l’idéal qu’on se fait d’un marquis de l’ancien régime, d’un roué de la Régence.

Italien, il l’était cependant, et il descendait d’une race fameuse dans l’histoire de sa patrie ; mais, comme s’il eût été honteux de sa naissance et de son pays, il affectait de se poser en citoyen de l’univers. Pauvre univers ! Puisse Dieu lui venir en aide s’il n’a que de tels citoyens !

« Mais, Giulio, dit en italien Béatrix, même en supposant que vous découvriez cette jeune fille, croyez-vous que son père consente à une alliance avec vous ? Vous devez connaître assez votre parent pour savoir le contraire.

— Vous vous trompez, ma sœur, répliqua Giulio, comte de Peschiera, en français, comme à l’ordinaire ; je le connaissais avant qu’il eût subi l’exil et la misère ; mais comment le connaîtrais-je maintenant ? Au reste, tranquillisez-vous, Béatrix, je ne m’inquiéterai de son consentement que lorsque je serai sûr de celui de sa fille.

— Mais comment l’obtiendrez-vous, malgré le père ?

— Eh morbleu ! reprit le comte avec un éclair de gaieté française, que deviendraient toutes les comédies faites et à faire, si les mariages n’avaient lieu contre la volonté des pères ? Rappelez-vous, ajouta-t-il avec une légère compression de lèvres et un mouvement presque imperceptible sur son siège, rappelez vous que ce n’est pas là une question de si et de mais, c’est une question de nécessité, une question d’existence pour vous et pour moi. Lorsque Danton fut condamné à la guillotine, il dit en lançant une boulette de pain au nez de son respectable juge : « Mon individu sera bientôt dans le néant. » Eh bien ! moi, mon patrimoine y est déjà. Je suis couvert de dettes ; je vois d’un côté la ruine et le suicide ; de l’autre, le mariage et la fortune.

— Mais, sur les revenus de ces vastes domaines dont il vous a été permis de jouir si longtemps, n’avez-vous donc rien épargné pour l’époque où il était possible qu’on vous les réclamât ?

— Ma sœur, répondit le comte, ai-je l’air d’un homme qui fait des économies ? En outre, lorsque l’empereur d’Autriche, ne voulant pas laisser éteindre dans ses domaines lombards un nom et une maison aussi illustres que ceux de notre parent, et désireux, en même temps qu’il punissait la rébellion de celui-ci, de récompenser ma soumission, s’abstint de confisquer ces vastes possessions, dont la seule