Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/380

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Et, entre tous vos adorateurs, qui pourrait vous offrir un sort plus réellement enviable que celui dont, je le vois à votre rougeur, vous avez deviné le nom ?

— Ai-je rougi ? dit la marquise avec un rire argentin. Je crois que dans votre zèle pour votre ami, vous vous êtes trompé. Mais j’avouerai franchement que j’ai été troublée de son amour honnête, ingénu et si évident, bien qu’il l’exprime par ses regards plus que par ses paroles. J’ai comparé cet amour qui m’honore à celui d’admirateurs qui ne veulent que me dégrader ; mais je n’en puis dire davantage, car j’avoue que votre ami est beau, intelligent, généreux, mais cependant il n’est pas ce que…

— Vous vous trompez, croyez-moi, interrompit Randal. Je ne vous laisserai pas achever votre phrase. Il est tout ce que vous ne le supposez pas encore, car sa timidité, son amour même et son admiration pour votre supériorité ne lui permettent pas de montrer avec avantage son esprit et son caractère. Vous avez, il est vrai, pour les lettres et la poésie un goût bien rare, même parmi les femmes de votre pays ; ce goût, il ne l’a pas encore, bien peu d’hommes l’ont. Mais quel Cimon ne se transformerait sous l’influence d’une si douce Iphigénie ? Mon ami vous paraît aujourd’hui un peu frivole, c’est l’effet de la jeunesse et de l’inexpérience, mais heureux le frère qui verra sa sœur la femme de Frank Hazeldean. »

La marquise sans répondre pencha la tête sur sa main. Pour elle le mariage était plus encore que ce qu’il est pour une veuve éplorée, ou pour une jeune fille rêveuse. Son violent désir d’échapper au joug d’un frère sans principes et sans conscience était si bien devenu comme une partie même de son âme ; ce qu’il y avait de meilleur et de plus élevé dans son caractère complexe avait été si vivement blessé et outragé par sa position isolée et sans appui, par le culte équivoque rendu à sa beauté, par les humiliantes bassesses auxquelles l’avaient soumise des embarras pécuniaires (ceci, non pas sans dessin du comte qui, bien que rapace, n’était point avare, mais qui, tantôt faisant à sa sœur des dons précaires et capricieux, tantôt lui refusant inopinément toute espèce de secours, l’avait entraînée à faire des dettes dans le but de conserver son empire sur elle) ; la situation de Béatrix dans le monde était si pénible pour une femme de sa fierté et de sa naissance, que le mariage lui apparaissait comme la liberté, la vie, l’honneur, la rédemption ; et ces pensées, en même temps qu’elles la poussaient à coopérer au plan par lequel Peschiera devait lui rendre sa fortune la disposaient également à prêter l’oreille aux plaidoyers de Leslie en faveur de Frank.

L’avocat vit qu’il avait fait impression, et avec une adresse merveilleuse, il continua à faire valoir sa cause par tous les arguments propres à en assurer le triomphe. Avec quel tact admirable il s’abstint de faire le panégyrique personnel de Frank et le représenta comme le type, l’idéal de tout ce qu’une femme dans la position de Béatrix devait désirer : la sécurité, la paix, l’honneur du foyer dans la confiance, la constance et l’honnête affection d’un époux. Il ne lui pei-