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Mistress Dale garde le silence et retourne son mouchoir dans sa jolie main blanche, comme pour contempler l’r du nom Caroline.

Miss Jemima (moitié riant, moitié boudant). Pourquoi est-il intéressant ? Je ne l’ai jamais bien regardé ; mais on dit qu’il fume, qu’il ne mange pas et qu’il est très-laid.

Mistress Dale. Laid ! Non. Une belle tête, dans le genre de Dante. Mais qu’est-ce que la beauté ?

Miss Jemima. C’est vrai. Qu’est-ce que la beauté ? Comme vous le disiez, je crois qu’il a quelque chose d’intéressant. Il a l’air mélancolique, mais c’est peut-être parce qu’il est pauvre.

Mistress Dale. C’est étonnant comme on sent peu la pauvreté quand on s’aime. Charles et moi nous étions très-pauvres avant que le squire… » Mistress Dale s’arrête, regarde le squire, murmure une bénédiction avec un sentiment qui lui fait venir les larmes aux yeux. « Oui, ajouta-t-elle après un silence, nous étions très-pauvres, mais nous étions très-heureux même alors, grâce à Charles plutôt qu’à moi… » Et des larmes vinrent de nouveau mouiller les beaux yeux brillants de la petite femme qui regardait avec amour son mari, fronçant en ce moment le sourcil en face d’un mauvais jeu.

Miss Jemima. Il n’y a que ces vilains hommes qui regardent l’argent comme une source de bonheur. Je serais certainement la dernière à avoir moins d’estime pour un gentilhomme parce qu’il serait pauvre.

Mistress Dale. Je m’étonne que le squire n’invite pas plus souvent le signor Riccabocca. Ç’a été pour nous une vraie trouvaille ! »

La voix du squire de la table de jeu : « Qui devrais-je inviter plus souvent, mistress Dale ?

Le curé (avec impatience). Allons, allons, squire, jouez sur ma dame de carreau, jouez.

Le squire. Voilà je coupe ; ramassez la levée, mistress Hazeldean.

Le curé. Arrêtez, arrêtez ! Vous coupez ma dame de carreau ?

Le capitaine (d’un ton solennel). La levée est faite ; jouez, squire.

Le squire. Roi de carreau.

Mistress Hazeldean. Bon Dieu, Halzedean, voilà bien la renonce la plus audacieuse que j’aie jamais vue… Ha ! ha ! ha ! couper la dame de carreau et jouer ensuite le roi ! Oh ! non, jamais !… Ha ! ha ! ha !…

Le capitaine Barnabé (de sa voix de ténor). Ha ! ha ! ha !

Le squire. Ho ! ho ! ho ! Bon Dieu ! Ho ! ho ! ho !…

Le capitaine Barnabé (de sa voix de basse). Ho ! ho ! ho ! »

Le curé élève la voix, mais il ne peut dominer les éclats de rire de ses adversaires et la voix ferme et claire du capitaine Barnabé, qui dit : « Trois points à marquer ; la partie est à nous !