Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/51

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— Je me fâche, monsieur ! Je le crois bien. Un homme pour lequel j’ai répondu aux élections, monsieur !… Un homme pour qui j’ai été appelé gros bœuf ! monsieur !…Un homme pour qui j’ai été sifflé, hué en place publique, monsieur !… Un homme pour qui je me suis battu de sang-froid avec un officier au service de Sa Majesté, qui m’a logé une balle dans l’épaule droite, monsieur !… Un homme qui a eu l’ingratitude, après tout cela, de tourner le dos aux intérêts de la propriété foncière, de venir nier l’état déplorable de l’agriculture dans une année qui a ruiné trois de mes meilleurs fermiers, monsieur !… Un homme qui a fait sur le cours des monnaies un discours dont il a été complimenté par Ricardo, un juif !… Dieu du ciel ! vous êtes un joli curé de venir prendre la défense d’un homme qui reçoit les éloges d’un juif ! Vous devez avoir de belles idées sur le christianisme ! Je me fâche, monsieur, gronda le squire en accompagnant le tonnerre de sa voix d’un froncement de sourcils d’une férocité digne de Bussy d’Amboise ou de Fitzgerald. Sachez que si cet homme n’avait pas été mon beau-frère je l’aurais appelé sur le terrain. J’ai fait mes preuves ; j’ai reçu une balle dans l’épaule droite. Oui, monsieur, je l’aurais provoqué en duel.

— Monsieur Hazeldean ! monsieur Hazeldean ! vous me faites de la peine, s’écria le curé ; » puis approchant ses lèvres de l’oreille du squire, il lui dit tout bas : « Quel exemple vous donnez à votre fils ! Vous le verrez se battre en duel un de ces jours et vous ne pourrez en accuser que vous-même. »

Cet avertissement calma soudain M. Hazeldean ; et tout en murmurant : « Que diable aussi, vous m’avez mis hors de moi ! » il se laissa tomber sur une chaise, puis commença à s’éventer avec son mouchoir.

L’impitoyable curé profita sur-le-champ de l’avantage qu’il avait obtenu. « Et maintenant, dit-il, qu’il est en votre pouvoir de témoigner des égards et des bontés à un jeune homme que M. Egerton a adopté, qui, dites-vous, est de vos parents, et ne vous a jamais offensé, à un jeune homme qui, d’après son zèle pour l’étude, doit être un excellent compagnon pour votre fils… Frank (ici le curé éleva la voix), je suppose que vous seriez bien aise d’aller voir ce jeune Leslie, si j’en juge par l’attention avec laquelle vous étudiez la carte du comté.

— Certes, oui, répondit Frank, avec un peu de timidité. Si mon père ne le trouve pas mauvais. Leslie a toujours été très-bon pour moi, quoiqu’il soit dans la première classe et presque à la tête de l’école.

— Ah ! dit mistress Hazeldean, les jeunes gens studieux se recherchent, et quoique vous profitiez bien de vos vacances, Frank, je suis sûre que vous travaillez bien à l’école. »

Mistress Dale ouvrait de grands yeux d’un air de profond étonnement.

Mistress Hazeldean répondit à ce regard avec beaucoup d’animation.