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« Giacomo, dit-il, je pensais que tu n’as jamais fait ce que je t’ai dit ; tu n’as jamais rien pris du superflu de ma garde-robe ; mais nous allons nous présenter dans le grand monde ; la première visite faite, Dieu sait où nous nous arrêterons ! Va-t’en à la ville et achète des habits. Tout est très-cher en Angleterre. Ceci suffira-t-il ? »

Et Riccabocca tendit un billet de cinq livres sterling.

Jackeymo, nous l’avons dit, était plus familier avec son maître que nos usages anglais ne le permettent à nos domestiques ; mais sa familiarité était toujours respectueuse. En cette occasion, cependant, tout respect l’abandonna.

« Le padrone est fou ! s’écria-t-il ; il jetterait par la fenêtre toute sa fortune ! Cinq livres sterling ou cent vingt-six francs milanais ! Sainte Marie ! père dénaturé ! Et que deviendra la pauvre signorina ? Est-ce en agissant ainsi que vous lui amasserez une dot ?

— Giacomo, dit Riccabocca baissant la tête devant l’orage, demain on songera à la signorina, aujourd’hui il faut songer à l’honneur de la maison. Tes hauts-de-chausses, Giacomo ; tes hauts-de-chausses, malheureux !

— C’est juste, dit Jackeymo en se remettant et prenant un ton plus humble, le padrone a raison de me blâmer, mais il ne devrait pas le faire d’une façon aussi cruelle. C’est juste ; le padrone me loge et me nourrit, il me donne de bons gages, il a le droit de s’attendre à ne pas me voir sortir ainsi.

— Quant à la nourriture et au logement, fort bien, dit Riccabocca. Pour ce qui est des bons gages, ils n’existent que dans ton imagination !

— Non, non, dit Jackeymo, il n’y a là qu’un retard. Ne dirait-on pas que le padrone ne pourra pas me les payer un jour ! Comme si j’irais m’abaisser à servir un maître qui n’aurait pas l’intention de payer ses domestiques ! Et ne puis-je pas attendre ! N’ai-je pas mes économies ? Ne vous tourmentez pas, ne vous tourmentez pas ; vous serez content de moi. J’ai encore deux beaux habits. J’étais en train de les arranger quand vous m’avez sonné. Vous verrez ! vous verrez ! »

Et Jackeymo retourna dans sa chambre. Là, il ouvrit une caisse placée à la tête de son lit, en enleva pêle-mêle une foule de petits objets, et, du plus profond de la boîte, il tira une bourse de cuir. Il en vida le contenu sur le lit. C’étaient surtout des pièces italiennes, quelques pièces de cinq francs, un médaillon d’argent renfermant l’image de son patron, saint Giacomo, une guinée anglaise, et un peu plus d’une livre en petite monnaie. Jackeymo fit rentrer dans la bourse les pièces étrangères, disant prudemment : « On perdrait sur celles ici. » Puis il prit les pièces anglaises et les compta. « Mais suffirez-vous, chiennes de pièces ? » dit-il avec colère en les secouant violemment. Son œil aperçut le médaillon ; il s’arrêta, et après avoir réfléchi longuement en regardant l’image du saint, il ajouta ces mots, qu’il avait retenus sans doute des maximes proverbiales de son maître :