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Mistress Dale. Jemima est bien aimable, n’est-ce pas ?

Riccabocca. Excessivement. Un beau tableau de bataille !

Mistress Dale. Elle est si bonne !

Riccabocca. Toutes les dames le sont. Comme ce guerrier se frayant une route désespérée vers les fuyards est naturel !

Mistress Dale. Elle n’est pas ce que l’on appelle régulièrement jolie, mais elle a quelque chose de bien séduisant.

Riccabocca (avec un sourire). Si séduisant, qu’il est vraiment étrange qu’elle n’ait encore séduit personne. Cette jument grise, sur le premier plan, a une pose hardie !

Mistress Dale (se méfiant du sourire de Riccabocca, et tirant sur lui à boulet rouge). Non, elle n’a encore séduit personne, et c’est étrange ! Elle aura une jolie fortune.

Riccabocca. Ah !

Mistress Dale. Six mille livres sterling, je crois, mais au moins quatre, j’en suis sûre.

Riccabocca (réprimant un soupir, et avec son adresse habituelle). Si mistress Dale n’était pas mariée, elle n’aurait pas besoin qu’une amie parlât de sa dot ; mais miss Jemima est si bonne, que je suis bien sûr que ce n’est pas sa faute si elle est encore… miss Jemima ! »

L’étranger se recula en disant ces mots, et alla s’asseoir auprès des joueurs de whist.

Mistress Dale fut désappointée, mais non pas offensée. « Ce serait une si bonne chose pour tous deux ! » murmura-t-elle si bas qu’on put à peine l’entendre.

« Giacomo, dit Riccabocca le soir en se déshabillant dans une de ces chambres à coucher anglaises, confortable, garnie de bons tapis, avec un grand lit à colonnes qui semble se moquer des célibataires ; Giacomo, on m’a fait ce soir l’offre de six mille livres sterling probables et de quatre assurées.

Cosa maravigliosa ! Chose merveilleuse ! s’écria Jackeymo, qui se signa dévotement. Six mille livres sterling anglaises ! ça doit faire cent mille… imbécile que je suis, plus de cent cinquante mille livres milanaises ! »

Et Jackeymo, que la bière du squire avait fort égayé, commença à gesticuler et à gambader. Puis, tout à coup, il s’arrêta pour s’écrier :

« Mais pour rien ?…

— Pour rien ! Oh ! non pas.

— Ces mercenaires anglais !… Le gouvernement voudrait voua séduire ?

— Ce n’est pas cela.

— Les prêtres voudraient vous amener à l’hérésie ?

— Pis que cela, dit le philosophe.

— Pis que cela ! ô padrone ! Quelle honte !

— Allons ! ne perds pas la tête et ôte-moi mon pantalon… On voudrait que je ne portasse plus jamais culotte !

— Ne plus porter culotte ! s’écria Jackeymo en regardant avec de