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du corps qu’elles procurent. C’est le sentiment, implanté dans le cœur de l’homme par la divine sagesse, qui fait que le riche éprouve encore des aspirations vers le ciel et cherche le bonheur dans cette bienfaisance qui lui fait distribuer sa fortune au profit des autres. Supprimez l’air d’un foyer, le feu s’éteindra malgré tout ce qui peut l’alimenter. Il en est de même de la jouissance que la fortune fait éprouver au riche, elle est vivifiée par l’air qu’il échauffe.

« Et ceci, mes frères, me conduit à une seconde manière d’envisager les paroles de l’apôtre : « Car chacun portera son fardeau. » Les conditions sociales de la vie sont inégales. Pourquoi ? Ô mes très-chers frères, ne le voyez-vous pas ? Autant vaudrait demander pourquoi la vie est la sphère du devoir et la pépinière des vertus. Car si tous les hommes étaient égaux, s’il n’y avait ni souffrance, ni bonheur, ni pauvreté, ni richesse, la moitié au moins des vertus humaines ne disparaîtrait-elle pas d’un seul coup ? S’il n’y avait ni indigence, ni chagrin, que deviendrait le courage ? Que deviendrait la patience ? Que deviendrait la résignation ? S’il n’y avait ni grandeur, ni richesse, que deviendraient la bienveillance, la charité et la douce compassion, la tempérance au milieu du luxe, et la justice dans le maniement de l’autorité. Allons plus loin : supposons toutes les conditions égales : pas de revers de fortune, pas d’élévation, pas de chute, mais aussi rien à espérer, rien à craindre ; ne voyez-vous pas que vous tuez d’un coup toutes les facultés de l’âme et que vous brisez la chaîne qui rattache le cœur de l’homme à la providence de Dieu. Si nous pouvions anéantir le mal, nous anéantirions l’espérance, et l’espérance, mes très-chers frères, est le chemin de la foi. Ah ! mes frères, s’il était possible d’anéantir les inégalités sociales, ce serait bannir nos plus belles vertus, frapper de torpeur notre nature spirituelle, ce serait paralyser les facultés de notre esprit. Le monde moral comme le monde physique emprunte sa force et sa beauté à la diversité, au contraste.

« Chacun portera son fardeau. » Oui, c’est vrai. Mais prenons un des derniers versets du même chapitre. « Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ. » Oui ; tandis que le ciel donne à chacun sa part de souffrance, il fait de l’humanité tout entière une seule famille, grâce à ce sentiment qui, plus que tout autre, distingue l’homme de la brute : la sympathie, l’affection qui nous lie les uns aux autres ! Le troupeau ne s’inquiète point de la brebis qui va mourir dans son coin ; mais l’homme ne garde pas pour lui seul sa joie et sa douleur, et il partage la douleur et la joie de tous ceux qui l’entourent. Quiconque ne pense qu’à soi, abjure son titre d’homme ; car ne disons-nous pas d’un homme qui n’a aucune pitié pour ses semblables qu’il est inhumain ? Et ne disons-nous pas de celui qui s’afflige avec ceux qui pleurent, qu’il est humain ?

« Mes frères, ce qui a particulièrement caractérisé la divine mission de Notre-Seigneur, c’est l’appel direct qu’il a fait à ce sentiment qui nous distingue de la brute : Il s’empare, non pas de quelque rare faculté accordée seulement à un petit nombre d’hommes de génie, mais