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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/14

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— Je serais bien aise que ce fût vrai, dit le prince d’un ton décidé, et j’exprime ici le sentiment qui règne généralement à Vienne. Ce parent est un homme du plus noble caractère, et il a, je crois, été à la fois joué et trahi. Pardonnez-moi, monsieur, mais nous autres Autrichiens nous ne sommes pas si noirs qu’on nous fait. Avez-vous jamais vu en Angleterre le parent dont vous parlez ?

— Jamais, quoiqu’il passe pour y résider. Il a une fille à ce que m’a dit le comte ?

— Le comte, ah ! J’ai entendu parler d’un projet, d’un pari de ce comte,… une fille ! Pauvre enfant ! j’espère qu’elle lui échappera, car il veut sans doute l’épouser.

— Peut-être est-elle déjà mariée à un Anglais ?

— J’espère que non, dit le prince d’un ton grave ; cela pourrait être un sérieux obstacle à la rentrée de son père.

— Vous croyez ?

— On ne saurait en douter, dit l’attaché d’un air important et positif, à moins toutefois que cet Anglais ne fût d’un rang égal au sien. »

Il se fit un léger mouvement du côté de la porte ; on annonçait le comte de Peschiera, et son extérieur était si noble, sa beauté si remarquable, que les préventions qu’excitait son caractère semblaient effacées ou oubliées devant l’irrésistible admiration qu’excitent toujours d’aussi brillants avantages personnels.

Le prince, dont la lèvre se plissa dédaigneusement à la vue du groupe qui entoura soudain le comte, se tourna vers Randal et dit :

Savez-vous si un de vos compatriotes les plus distingués, lord L’Estrange, est en Angleterre ?

— Non, prince, il n’y est pas. Vous le connaissez donc ?

— Beaucoup.

— Il est en relations avec le parent du comte, et c’est peut-être de lui que vous avez appris à estimer si haut ce parent ? »

Le prince s’inclina et dit avant de s’éloigner :

« Lorsqu’un homme d’honneur se porte garant d’un autre, il a droit d’être cru sur parole.

— Il s’agit de ne pas aller trop vite, se dit intérieurement Randal, j’ai failli me prendre dans mes propres filets. Si j’allais, en épousant la jeune fille, ne faire que mieux assurer sa fortune à Peschiera ! Qu’il faut donc de prudence pour réussir en ce monde ! »

Tandis que Randal se livrait à cette méditation, un membre du Parlement vint lui toucher l’épaule.

« Mélancolique Leslie ! dit-il, je gage que je devine à quoi vous pensez.

— Devinez ? dit Randal.

— Parbleu ! vous pensez à la place que vous allez perdre.

— La place que je vais perdre ?

— Dame ! si le ministère tombe, vous ne pourrez guère conserver la vôtre, ce me semble ? »

Ce personnage, le député favori du squire Hazeldean, sir John, était