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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/156

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CHAPITRE XLVI.

Tandis que Violante demeurait ainsi assise et immobile, un étranger, passant furtivement à travers les arbres, vint se placer entre elle et le soleil. Elle ne le vit point, il la contempla un instant, puis lui parla doucement dans sa langue natale, en lui donnant le nom qu’elle avait porté en Italie. Il lui parla du ton d’un parent, et excusa son apparition subite en disant :

« Je viens suggérer à une fille les moyens de rendre à son père son pays, ses biens, ses dignités. »

Au mot de père Violante releva la tête, et tout son amour pour Riccabocca lui revint au cœur avec une double force. Il en est presque toujours ainsi ; le moment où nous aimons le mieux nos parents, c’est alors que vient de se rompre quelque lien moins sacré, et que la conscience nous dit : «  du moins est une affection qui ne t’a jamais trompé. »

Violante vit devant elle un homme d’une figure douce et de l’extérieur le plus noble, Peschiera (car c’était lui) avait banni de son costume et de sa physionomie tout ce qui eût pu trahir la légèreté mondaine de son caractère. Il voulait jouer un rôle, il s’était déguisé en conséquence.

« Mon père ! dit Violante vivement et en italien, qu’avez-vous à me dire de lui, et qui êtes-vous, signor ? car je ne vous connais pas. »

Peschiera sourit avec bienveillance, et reprit d’un ton où le respect était tempéré par une sorte de tendresse paternelle :

« Veuillez me permettre de m’expliquer, et m’écouter un instant. »

Puis, s’asseyant tranquillement sur le banc où était Violante, il la regarda attentivement et reprit :

« Vous avez sans doute entendu parler du comte de Peschiera ?

— J’ai entendu prononcer ce nom dans mon enfance, en Italie ; lorsque celle chez qui je vivais alors, ma grand’tante, mourut, on me dit que notre maison et nos biens étaient passés aux mains du comte de Peschiera, l’ennemi de mon père.

— Et votre père vous a sans doute depuis appris à haïr cet ennemi imaginaire ?

— Mon père m’a seulement défendu de jamais prononcer son nom.

— Ah ! que d’années de souffrances et d’exil eussent été épargnées à votre père si, plus juste envers son parent, il ne lui eût pas caché avec tant de crainte l’endroit de sa retraite. Chère enfant, je suis ce Giulio Franzini, ce comte de Peschiera. Je suis l’homme qu’on vous a appris à regarder comme l’ennemi de votre père, celui à qui l’empereur d’Autriche a donné ses domaines ; et maintenant c’est à vous