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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/172

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Mme di Negra — qui vous a dit que Frank voulait faire cette sottise ?

— Il me l’a dit lui-même, mais n’importe. Randal et moi nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour l’en dissuader, et Randal m’a conseillé de venir vous trouver.

— Il a agi généreusement alors, je suis bien aise de l’apprendre, dit Audley, dont la figure s’éclaircit. J’ai peu d’influence sur cette dame ; néanmoins je puis essayer d’un conseil. Ne regardez pas ce mariage comme fait parce qu’un jeune fou le désire. La jeunesse est téméraire et emportée !

— La vôtre ne l’a pas été, toujours, répliqua brusquement le squire. Vous avez fait un assez bon mariage, ce me semble. Il y a une chose à dire à votre louange ; vous vous êtes montré, à mon avis (excusez-moi), un assez mauvais politique, mais vous avez toujours agi en gentleman. Ce n’est pas vous qui auriez déshonoré votre famille en épousant une… »

— Chut ! fit doucement Audley. N’exagérons rien ; Mme di Negra est d’une grande naissance, et si le scandale…

— Le scandale ! répéta le squire en pâlissant. Parlez-vous bien de la femme d’un Hazeldean ? Du moins elle ne s’assiéra jamais au foyer où la mère de Frank est maintenant assise, et quoi que je fasse pour celui-ci, ses enfants n’en hériteront pas. Aucun métis papiste ne possédera jamais Hazeldean. Je vous suis obligé, Audley, de vos bons sentiments ; mais écoutez-moi : je suis stupéfait de vous avoir vu secouer ainsi la tête lorsque j’ai dit que vous étiez riche ; et d’après ce que vous dites de l’avenir de Randal, je devine que vous autres, beaux messieurs de Londres, n’êtes pas si rangés que nous le sommes ; — vous m’entendrez ; j’y suis résolu. Je vous répète donc que j’ai quelques milliers de livres tout à fait à votre service ; bien que vous ne soyez pas un Hazeldean, cependant vous êtes le fils de ma mère, et puisque je vais refaire mon testament, je puis tout aussi bien y ajouter le nom d’Egerton que celui de Leslie. Tut, tut ! Vous êtes le plus jeune et vous n’avez pas de fils, par conséquent vous vivrez plus longtemps que moi.

— Mon bon frère, dit Audley, croyez-moi, je n’aurai jamais besoin de votre argent. Et quant à Leslie, ajoutez aux cinq mille livres que je compte lui laisser une somme égale par votre testament, et j’estimerai que justice lui a été rendue. »

Remarquant que le squire, bien qu’il eût écouté attentivement, ne se hâtait pas de répondre, Audley remit la conversation sur Frank, et, avec le tact d’un homme du monde, soutenu de la cordiale sympathie que lui inspirait le chagrin de son frère, il plaida si bien la cause de Frank, il prêcha si habilement la sagesse de l’indulgence et de la patience, et l’appel aux sentiments filiaux plutôt que le recours aux menaces paternelles, que le squire s’attendrit en dépit de lui-même et sortit de la maison de son frère beaucoup moins furieux et moins désolé qu’il n’y était entré.