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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/184

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Nous avons plusieurs fois dans ce récit fait allusion aux passions violentes et opiniâtres qu’il cachait sous une froideur apparente. Ces passions s’éveillèrent alors. Il sentit que l’amour s’était emparé de ce cœur que la confiance de son ami aurait dû suffire à garder.

« Je n’y retournerai plus, dit-il brusquement à Harley.

— Pourquoi ?

— Cette jeune fille ne vous aime pas. Cessez donc de songer à elle. »

Harley s’indigna et refusa d’en croire son ami ; les motifs les plus puissants se réunissaient d’ailleurs pour affermir Audley dans la voie de l’honneur. Bien qu’on le crût riche, il était pauvre et très-endetté, résolu à s’élever, désireux de conserver l’estime du monde. L’amour avait donc à combattre en lui une multitude d’influences contraires ; Audley était doué d’une nature vigoureuse, mais ces natures, hélas ! si elles opposent à la tentation la résistance du granit, ont à combattre des passions de feu.

On l’a remarqué cent fois ; nos destinées dépendent souvent de l’impulsion irréfléchie d’un moment. Il en fut ainsi de cet homme en apparence si calme et si prudent. Harley vint un jour le trouver très-affligé ; il avait appris que Nora était malade, il suppliait Audley d’aller la voir sur-le-champ. Audley céda. Lady Jane Horton, souffrante de la maladie qui bientôt après lui devint fatale, n’était pas en état de le recevoir. On le fit entrer dans l’appartement de Nora. En attendant celle-ci, il se mit à feuilleter machinalement un album que Nora appelée subitement près de lady Jane avait laissé sur la table. Il y vit l’esquisse de ses propres traits ; il lut quelques lignes écrites au-dessous. C’était l’expression d’une tendresse naïve et sans espoir. Ces paroles écrites par une jeune fille accoutumée à regarder son génie poétique comme son seul confident, à verser dans ces effusions d’un cœur solitaire ses pensées, ses sentiments, la confession de mystiques soupirs qu’elle n’eût jamais révélée à une oreille vivante, qu’excepté en cette occasion, elle se fût à peine avouée à elle-même. Audley vit qu’il était aimé, et cette révélation consuma d’un feu soudain toutes les barrières qui contenaient son propre amour. Nora entra, elle le vit penché sur l’album ; elle poussa un cri, s’élança vers lui, puis tomba à genoux couvrant son visage de ses mains. Mais Audley était à ses pieds. Il oublia son ami, sa mission ; il oublia l’ambition, il oublia le monde entier. Il plaida sa propre cause, il exprima son propre amour. Et lorsqu’ils se séparèrent, ils étaient fiancés l’un à l’autre.

Et maintenant cet homme qui jusqu’ici s’était piqué d’être le modèle du parfait gentleman, cet homme objet de l’admiration de tous ses jeunes contemporains, il lui fallut dire adieu à la vérité et serrer la main de l’ami qu’il avait trahi.

Il lui fallut différer, l’amuser, le tromper, lui faire croire qu’il espérait triompher bientôt des hésitations de Nora, que dans quelque temps, il l’amènerait à oublier le rang d’Harley, l’orgueil de ses parents et qu’elle consentirait à devenir sa femme. Et Harley crut Eger-