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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/195

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Mais lorsque la mer, lorsque d’interminables lieues s’étendirent entre elle et son amant, lorsque de nouvelles images se présentèrent à son esprit, que se ralentit la fièvre et que revint la raison, le doute se fit jour à travers son désespoir. N’avait-elle pas été trop crédule, trop prompte ? Insensée ! insensée ! Quoi ! Audley serait un misérable ! Combien elle était coupable si elle s’était trompée ! Et au milieu de cette réaction de sentiments, elle sentit une autre vie s’agiter en elle ; elle comprit qu’elle était mère. À cette pensée sa fierté se tut ; son orgueil cessa de lutter. Elle retournerait en Angleterre, elle verrait Audley, elle saurait de lui la vérité, et alors même que la vérité serait telle qu’on la lui avait présentée, elle plaiderait non plus sa cause, mais celle de l’enfant d’Audley. La guerre retarda quelque temps l’exécution de ce plan, et divers obstacles ralentirent le voyage de Nora. Mais elle arriva enfin, et se rendit au logement qu’elle avait occupé avant de quitter l’Angleterre. Le soir elle alla à la maison qu’habitait Audley, à Londres ; elle n’y trouva qu’une femme chargée de la garder. M. Egerton était absent ; il s’occupait de son élection. M. Lévy, son homme d’affaires, venait chaque jour chercher ses lettres pour les lui envoyer. Il répugnait à Nora de revoir Lévy et même d’écrire une lettre qui dût passer par ses mains. Si elle avait été trompée, c’était par lui et volontairement. Mais le Parlement était déjà dissout, les élections seraient bientôt terminées ; M. Egerton était attendu à Londres dans le courant de la semaine prochaine. Nora retourna chez mistress Goodyer et résolut d’attendre, dévorant son cœur en silence. Mais les journaux pouvaient lui apprendre où était Audley. Elle se les procura et les examina chaque jour.

Un matin, le paragraphe suivant frappa ses regards :

« Le comte et la comtesse de Lansmere possèdent à leur château la réunion la plus distinguée. On remarque parmi leurs hôtes, miss Leslie, dont la richesse et la beauté ont produit une si grande sensation dans le monde fashionable. Nous apprenons qu’au désappointement de nombreux soupirants, cette dame a fait choix de M. Audley Egerton. Ce gentleman est en ce moment candidat à la députation de Lansmere, et l’un des adhérents du gouvernement ; son succès est regardé comme certain, et si l’on en croit ses nombreux amis, peu d’entre les nouveaux membres seront une addition aussi précieuse aux rangs ministériels. On peut, sans crainte de se tromper, prédire une brillante carrière à un jeune homme dont les talents et le caractère sont si généralement estimés, et que va mettre en possession d’une immense fortune son mariage avec la belle héritière. »

Encore une fois l’ancre était arrachée, l’orage était déchaîné, les étoiles disparaissaient. Nora obéissait de nouveau à une idée fixe : lorsqu’elle avait quitté la maison conjugale, elle ne pensait qu’à échapper à son amant, aujourd’hui elle ne pensait qu’à le revoir. De même que la victime étendue sur la roue implore ardemment le coup mortel, il y a des instants où l’anéantissement de toute espérance paraît préférable aux angoisses du doute.