Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Randal se mordait les lèvres avec la colère contenue d’un homme qui attend l’heure de l’émancipation, et se prête à la servitude présente avec une soumission mécanique. La supériorité de son intelligence sur le courage de Peschiera et la ruse de Lévy apparut sur-le-champ.

« Votre sœur, dit-il au comte, doit être l’agent de la partie difficile de votre entreprise. Violante ne peut être arrachée de force de chez lady Lansmere ; il faut qu’on lui persuade de la quitter volontairement, et il n’y a qu’une femme qui puisse faire cela.

— Bien dit, fit le comte ; mais Béatrix est devenue rétive, et quoique sa dot et par conséquent son mariage avec cet excellent Hazeldean dépendent de mon alliance avec ma belle compatriote, elle est devenue si indifférente au succès de mes projets, que je n’ose compter sur son concours. Entre nous, elle, qui naguère était si désireuse de se remarier, paraît maintenant très-éloignée de cette idée, et ce n’est que par là que je la tenais.

— N’aurait-elle pas vu, dans ces derniers temps, quelqu’un qu’elle préfère au pauvre Frank ?

— Je le crains ; mais je ne devine pas qui, à moins que ce ne soit cet odieux L’Estrange.

— Ah !… bien, bien ! Ne vous mêlez pas de cela, mais soyez, comme vous vous le proposiez, prêt à quitter l’Angleterre, dès que Violante sera en votre pouvoir.

— Tout est prêt, dit le comte. Lévy est convenu d’acheter un bâtiment, excellent voilier, à l’un de ses clients. J’ai sous la main une vingtaine d’Italiens déterminés, accoutumés à la mer… Génois, Corses, Sardes… et carbonari de la meilleure sorte. Non pas d’imbéciles patriotes, mais des libéraux cosmopolites, qui tiennent toujours du fer à la disposition de l’or des autres. J’ai, de plus, un prêtre tout disposé à accomplir la cérémonie, un homme sourd aux refus et aux cris des belles dames. Que je sois une fois en mer, et, n’importe où je débarquerai, Violante s’appuiera sur mon bras comme comtesse de Peschiera.

— Mais Violante, dit Randal s’efforçant de vaincre le dégoût que lui inspirait l’audacieux cynisme du comte, mais Violante ne peut être emmenée en plein jour du quartier populeux où réside votre sœur.

— J’ai pourvu à cela, dit le comte ; mes émissaires m’ont trouvé une maison voisine de la rivière, et aussi propice à notre dessein que le serait un donjon de Venise.

— Je préfère ne pas savoir tout ceci, répondit Randal avec vivacité ; vous indiquerez à Mme di Negra l’endroit où elle devra conduire Violante. Ma tâche se borne aux combinaisons de l’intelligence ; la force et la violence ne sont pas de mon ressort. Je vais aller à l’instant trouver votre sœur, sur laquelle j’ai, je crois, plus d’influence que vous, bien que je doive vous engager à vous prémunir par la suite contre ses remords probables. En attendant, comme les soupçons tomberont sur vous dès que Violante aura disparu, mon-