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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/226

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— Renier la terre ! s’écria Randal avec une pieuse horreur. Oh ! monsieur, je ne suis pas assez dénaturé pour cela !

— C’est le mot, dit le crédule squire, c’est une conduite dénaturée, c’est renier sa propre mère. La terre est une mère.

— Pour ceux qu’elle fait vivre, certainement, dit Randal gravement, et bien qu’en vérité mon père n’en tire qu’une maigre subsistance et que Rood-Hall soit loin de ressembler à Hazeldean, cependant… je…

— Chut ! dit le squire, j’ai à te parler ; ta grand’mère était une Hazeldean.

— Son portrait est dans le salon à Rood. On trouve généralement que je lui ressemble,

— En vérité ! fit le squire. Les Hazeldean ont cependant pour la plupart de l’embonpoint et un teint coloré, ce que tu n’as certainement pas. Au reste, il n’y a pas de ta faute. Nous sommes tous ce que le ciel nous a faits. Mais pour en revenir à la question, je m’en vais faire changer mon testament. Voici un projet pour les gens d’affaires.

— Je vous en prie, monsieur, ne me parlez pas de cela ; je ne puis envisager de sang froid la seule possibilité de… de…

— Ma mort ? ha ! ha ! Mon propre fils en a calculé la date probable au moyen des tables statistiques. Ha ! ha ! ha ! C’est un fils des plus fashionables, qu’en dis-tu ? Ha ! ha !

— Pauvre Frank ! Ne le condamnez pas trop sévèrement pour un moment d’erreur. Lorsqu’il sera marié à cette dame étrangère et qu’il deviendra père lui-même, il…

— Père lui-même ! s’écria le squire. Père d’une bande de reptiles papistes ! Je n’entends pas que ces grenouilles étrangères viennent coasser autour de mon tombeau dans le cimetière d’Hazeldean ! Non, non. Mais ne prends pas cet air de reproche, Randal ; je n’ai pas l’intention de déshériter Frank.

— Je l’espère bien, dit Randal, dont la lèvre se plissa avec amertume, en dépit de ses efforts pour sourire.

— Non, je lui laisserai l’intérêt viager de la plus grande partie du domaine ; mais s’il épouse une étrangère, ses enfants n’hériteront pas de moi. En ce cas, tu viendras après lui. Mais (ne m’interromps pas), mais Frank a l’air de vouloir vivre plus longtemps que toi, par conséquent tu ne me dois pas grande reconnaissance de mes bonnes intentions. Aussi veux-je faire autre chose pour toi que de te donner un rang inutile dans la substitution du domaine. Que dirais-tu d’un mariage ?

— Je ferai là-dessus absolument ce qui vous plaira, dit Randal avec douceur.

— Bon. Nous avons près de nous miss Sticktorights, riche héritière. Ses terres touchent à Rood. J’avais autrefois songé à elle pour mon faquin de fils. Mais il me sera plus aisé de conclure le mariage pour toi. Il y a une hypothèque sur la propriété. Le vieux Sticktorights serait enchanté d’en être débarrassé. Je la rembourserai sur