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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/237

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sions fâcheuses pour Peschiera qui échappaient parfois à Béatrix, et l’audacieux libertinage que les admirateurs mêmes du comte lui attribuaient, Frank fut forcé d’acquiescer avec répugnance aux soupçons d’Harley, et il dit avec une gravité bien rare chez lui : « Milord, si je puis vous aider à déjouer un plan si odieux, disposez de moi. Une chose est certaine cependant : Peschiera n’a pas pris à cet enlèvement une part personnelle, car je ne l’ai pas quitté de la journée et, maintenant que j’y pense, je commence à espérer que vous lui faites injure, car il a invité un grand nombre d’entre nous à faire avec lui une excursion à Boulogne la semaine prochaine, afin d’essayer son yacht, ce qu’il n’eût pas fait si…

— Un yacht, à cette époque de l’année ! Un homme qui habite Vienne, — un yacht !

— Spendquick le lui cède à très-bon marché, à cause de la saison, et pour d’autres motifs encore ; puis le comte se propose de passer l’été prochain dans les îles Ioniennes. Il a dans ces îles des propriétés qu’il n’a pas encore visitées.

— Combien y a-t-il de temps qu’il a acheté ce yacht ?

— Je ne suis pas sûr que le marché soit encore complètement terminé, Lévy a dû voir Spendquick à ce sujet ce matin même. Spendquick se plaint que Lévy le ruine.

— Mon cher monsieur Hazeldean, vous me guidez à travers le labyrinthe. Où trouverais-je lord Spendquick ?

— À l’heure qu’il est, probablement dans son lit. Voici sa carte.

— Merci, et où est le bâtiment ?

— Il était l’autre jour à Blackwall. Je suis allé l’y voir : le Flying Dutchman, un bâtiment ponté, et qui a des canons.

— Cela suffit. Maintenant, écoutez-moi. Violante ne peut courir aucun danger immédiat tant que Peschiera sera loin d’elle et que nous connaîtrons ses mouvements. Vous êtes sur le point d’épouser sa sœur ; profitez de ce privilège pour ne pas le quitter un instant. Refusez de vous éloigner. Servez-vous pour cela des prétextes que votre imagination pourra vous suggérer. Je vais vous en fournir un tout naturel. Montrez-vous inquiet au sujet de Mme di Negra et désireux de savoir où la trouver.

Mme di Negra ! s’écria Frank. Qu’y a-t-il ? N’est-elle pas à Curzon-Street ?

— Non ; elle est sortie dans une des voitures de son frère. Selon toute probabilité, le cocher de cette voiture ou quelque autre domestique viendra dans le cours de la journée retrouver le comte, et celui-ci, pour se débarrasser de vous, vous dira de vous adresser à ce domestique afin de vous convaincre vous-même qu’il n’est rien arrivé à sa sœur. Feignez de croire ce que vous dira cet homme, mais attirez-le chez vous sous prétexte d’y écrire une lettre à la marquise. Une fois là, nous serons maîtres de lui et je m’arrangerai pour le faire arrêter. Dès que vous le tiendrez, envoyez-moi un exprès.

— Mais, dit Frank un peu étourdi, si je rentre chez moi, comment pourrai-je surveiller le comte ?