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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/273

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acquise n’est qu’une vaine fumée, elle ne me donne pas de rang, ne m’assure pas de fortune ; je n’ai pas le droit de prétendre retrouver dans l’Hélène d’aujourd’hui l’Hélène d’autrefois… Soit… Oubliez ce que j’ai dit, et pardonnez-moi. »

Ce reproche blessa au vif le cœur auquel il était adressé. Un éclair brilla dans les doux yeux d’Hélène, semblable à celui du ressentiment ; ses lèvres tremblèrent convulsivement, et il lui sembla que toute peine était légère, comparée à celle d’entendre Léonard lui attribuer des sentiments qui paraissaient à sa simple nature si indignes d’elle et si blessants pour lui-même.

Un mot lui vint aux lèvres, comme une inspiration, qui la calma et la consola.

« Mon frère ! dit-elle avec un accent de surprise, mon frère ! » Le mot produisit sur Léonard un effet tout contraire. Si doux qu’il fût, si tendre que fût la voix qui le prononçait, il imposait des bornes à l’affection, c’était le glas funèbre de toute espérance. Il recula, et dit en secouant tristement la tête : « Il est trop tard pour que j’accepte ce nom, trop tard même pour l’amitié. D’ici à de longues années, d’ici à ce que votre nom ait cessé de faire battre mon cœur, votre présence de le faire frissonner, il nous faudra rester étrangers l’un à l’autre.

— Étrangers ! Oui, vous avez raison ; il le faudra ; nous ne devons pas nous voir. Oh ! Léonard Fairfield, quel est celui qui dans les jours que vous me rappelez, vous a trouvé pauvre et obscur, qui, sans vous dégrader par la charité, vous a ouvert une noble carrière, vous a montré au milieu du labyrinthe où vous étiez prêt à vous égarer la grande route de la science, de l’indépendance, de la célébrité ? Répondez, répondez. N’est-ce pas le même qui a élevé, abrité, protégé votre sœur orpheline ? Si je pouvais jamais oublier ce que je lui dois, ne me rappellerais-je pas ce qu’il a fait pour vous ? Puis-je entendre parler de votre réputation sans m’en souvenir ? Puis-je me dire combien sera fière celle qui s’appuiera un jour sur votre bras, et portera le nom que vous avez déjà élevé au-dessus de tous les titres, puis-je penser à tout cela et ne pas me rappeler notre ami, notre bienfaiteur, notre tuteur à tous deux ? Et s’il en était autrement me le pardonneriez-vous ?

— Mais, murmura Léonard, la crainte se mêlant aux conjectures que lui inspiraient ces paroles, mais est-ce donc que lord L’Estrange refuserait de consentir à notre union ? Ou bien de quoi parlez-vous ? »

Hélène se sentit un instant incapable de répondre, puis enfin les mots sortirent de ses lèvres, comme s’ils lui eussent déchiré le cœur :

« Notre noble ami est venu à moi. Il ne m’a pas dit qu’il m’aimait. Il m’a dit qu’il était malheureux, isolé, qu’en moi, qu’en moi seule il pouvait trouver une consolation, un adoucissement à ses peines. Lui, lui ! Et je venais d’arriver en Angleterre, j’étais sous le toit de sa mère, je ne vous avais pas encore revu ; que pouvais-je répondre ? Encouragez-moi, donnez-moi des forces, vous que j’ad-