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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/299

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boutiquiers fournisseurs du château, votent régulièrement pour « le député de milord » et lui préparent du vin et des gâteaux dans leur arrière-boutique), lorsque vous avez quitté ce boulevard du parti, des labyrinthes de ruelles et de passages s’étendent à perte de vue devant vous ; nulle part de terrain plat ; il faut sans cesse monter ou descendre, tantôt ce sont des pavés pointus qui vous déchirent les pieds, et au seul aspect desquels vos cors sont pris d’un tremblement prophétique ; tantôt de profondes ornières dans lesquelles vous enfoncez jusqu’à la cheville, et dont l’eau bourbeuse, s’infiltrant dans vos pores, prépare les voies aux rhumes, catarrhes, maux de gorge, bronchites, etc., etc. De noirs égouts et des ruisseaux achérontiens obstruent le devant des maisons, qu’ils remplissent de leurs effluves à tel point que, tandis que d’une main vous serrez la patte crasseuse de l’électeur, de l’autre vous cherchez instinctivement à préserver du typhus et du choléra votre nez offusqué. En ce temps-là on n’avait point encore entendu parler de réforme sanitaire, et quand bien même, si l’on en juge par la lenteur des progrès de ladite réforme, égouts et ruisseaux n’eussent pas été en beaucoup meilleur état. La profonde diplomatie de Randal, son art de tromper, et pour emprunter l’expression de Dick Avenel, de « blaguer » les gens instruits et bien élevés, son éloquence était complètement perdue sur des esprits insensibles aux intérêts soit de l’État soit de l’Église, à la réforme ou à la liberté. Autant eût valu pour Randal Leslie essayer de tuer un rhinocéros avec une canonnière chargée de pois chiches, que de prétendre captiver un Scot-and-lot électeur avec de si frivoles arguments. Le jeune homme jusque-là si convaincu « que la science c’est le pouvoir, » fut pris d’un violent dégoût. L’ignorance déjouait ici tous ses arguments. Lorsqu’il tombait par hasard sur un homme ayant quelque instruction, Randal était à peu près sûr de lui escamoter son vote.

Néanmoins Randal Leslie allait, venait et discourait avec la plus louable persévérance. Les membres du comité bleu le reconnaissaient pour un excellent solliciteur ; ils se prirent même pour lui d’une certaine affection mêlée de pitié, car, bien que certains de la nomination d’Egerton, ils regardaient celle de Randal comme parfaitement impossible. Il était là simplement pour empêcher les doubles votes de se porter de l’autre côté, pour servir son patron, donner les poignées de mains, et respirer les odeurs que l’ex-ministre était trop grand personnage pour donner et pour respirer. Mais en réalité aucun membre du comité bleu n’était instruit du résultat probable des élections. Harley, qui recevait les rapports de chaque jour, ne les communiquait à personne, si ce n’est peut-être au baron Lévy, comme au conseiller confidentiel, sinon précisément légal d’Egerton ; car le millionnaire avait depuis longtemps renoncé à toute profession avouée. Randal, cependant, s’aperçut en habile observateur, que lui-même était beaucoup plus fort que ne le croyait le comité. Et à son extrême surprise, il devait cette force aux démarches incessantes de lord L’Estrange en sa faveur ; car, bien que