Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/3

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme qui est venu en Angleterre tout exprès pour te plaire et t’épouser ; pour l’amour du ciel, prends garde à lui ; il est merveilleusement beau ; il réussit dans tout ce qu’il entreprend. « Cospetto ! s’écria tout haut le docteur, tandis que ces avertissements se formulaient dans la chambre obscure de son cerveau, un tel avis aurait perdu Cornélie elle-même, alors qu’elle n’était encore qu’une vierge innocente. » Il résolut donc de ne rien dire à Violante de l’intention du comte, mais de guetter l’ennemi, et d’être, ainsi que Giacomo, tout yeux et tout oreilles.

La maison qu’avait choisie Randal plut sur-le-champ à Riccabocca. Elle était isolée, située sur une petite éminence ; des fenêtres du premier étage on apercevait la grande route. Elle avait autrefois servi à un pensionnat et était entourée de hautes murailles qui renfermaient un jardin et une pelouse assez grands pour prendre de l’exercice. Les portes étaient massives, fermées par de gros verrous et avaient un petit guichet grillé, ouvrant et fermant à volonté, au moyen duquel Giacomo pouvait inspecter les survenants avant de les admettre dans l’intérieur.

On loua une vieille servante dans le voisinage. Riccabocca renonça à son nom italien et abjura son origine. Il croyait parler assez bien la langue anglaise pour pouvoir passer pour un Anglais ? Il prit le nom de Richmouth (traduction libre de Riccabocca[1]). Il acheta une espingole, une paire de pistolets et un gros chien de garde. Ainsi approvisionné, il permit à Giacomo d’écrire à Randal un mot qui lui annonçât leur arrivée.

Randal vint sans perdre de temps. Grâce à la facilité qu’il avait de s’adapter aux caractères les plus différents, et à sa grande habitude de dissimuler, il lui fut aisé de plaire à mistress Riccabocca, et d’augmenter la bonne opinion que l’exilé avait déjà de lui. Il causa avec Violante de l’Italie et de ses poètes ; il promit de lui apporter des livres ; il commença, bien que d’un peu loin, car les manières de Violante lui imposaient, les préliminaires de la cour qu’il s’était promis de faire à la jeune héritière. Il se mit tout d’abord sur le pied d’un hôte familier, arrivant chaque jour à la nuit tombante, après son travail de bureau, et se retirant le soir. Au bout de quatre ou cinq jours, il avait fait de grands progrès auprès de tous. Riccabocca l’examinait attentivement, et devenait pensif après chacune de ses visites. Enfin un soir que le docteur et mistress Riccabocca se trouvaient seuls dans le salon, Violante s’étant retirée de bonne heure, le premier dit en remplissant sa pipe :

« Heureux l’homme qui n’a pas d’enfants ! trois fois heureux celui qui n’a pas de filles !

— Mon cher Alphonse ! » s’écria mistress Riccabocca levant la tête de dessus la manchette à laquelle elle cousait un bouton. Elle n’en dit pas davantage ; c’était là le plus vif reproche qu’elle adressât jamais à son mari lorsqu’il proférait ses odieuses et cyniques maximes. Ric-

  1. Riche bouche.