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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/319

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et ne lui rien expliquer. Il se décida enfin à écrire quelques lignes à lord L’Estrange, pour lui rappeler l’impatience avec laquelle il attendait de lui les explications qui devaient suppléer aux lacunes et aux omissions du manuscrit. Harley, en répondant à ce billet, allégua, non sans raison apparente, qu’un long entretien était nécessaire à ces explications, et que dans les circonstances présentes, un pareil entretien, au plus fort de la lutte, entre lui et le candidat opposé à l’influence des Lansmere, serait nécessairement connu, attribué à des intrigues politiques, et nuirait aux intérêts qui leur étaient respectivement confiés ; qu’au reste, il n’avait pas été oublieux de l’anxiété de Léonard ; ce que celui-ci devait maintenant désirer avant tout c’était de voir rendre justice à la mémoire de sa mère, et d’arriver à connaître le nom, la position, le caractère de son père. Or Harley espérait pouvoir l’aider à atteindre ce double but aussitôt que la clôture du scrutin lui en laisserait le temps. Le ton de cette lettre était fort éloigné de la cordialité habituelle d’Harley ; elle était froide et sèche, Léonard respectait trop L’Estrange pour s’avouer qu’elle était dure. Avec sa générosité accoutumée, il chercha des excuses à ce qu’il lui en eût trop coûté de blâmer. Peut-être quelque chose dans la manière ou dans les paroles d’Hélène avait-il fait penser à Harley que celle-ci avait conservé un trop tendre intérêt pour le compagnon de son enfance ; peut-être sous cette froideur d’expression se déguisaient les brûlantes angoisses de la jalousie. Et Léonard comprenait et plaignait noblement, même chez un rival heureux, les tortures de la plus cruelle des passions humaines, de cette passion dans laquelle tous nos raisonnements suivent les convulsions de notre douleur !

Léonard, lui-même, au milieu de ses inquiétudes et de ses travaux se sentait rongé et humilié par sa propre jalousie. Hélène, il le savait, était toujours sous le même toit qu’Harley. Les deux fiancés pouvaient se voir chaque jour et à toute heure. Il apprendrait sans doute bientôt leur mariage. Hélène serait emportée hors de la sphère de son existence à lui, dans une région supérieure qui n’était accessible qu’à ses rêves. Et cependant être jaloux de celui auquel Hélène et lui avaient de si grandes obligations l’avilissait à ses propres yeux, tant la jalousie ressemblait ici à l’ingratitude ; car, sans Harley que fût devenue Hélène, abandonnée à son impuissante protection ? Oui ici la jalousie n’était pas seulement un supplice, c’était une bassesse, un crime ! Si, encore, Hélène devait trouver le bonheur dans ces noces splendides ! Mais cette consolation ne lui était pas même assurée. Il ne voyait partout qu’amertume, soit qu’elle l’oubliât entièrement dans un bonheur dont il serait exclu sous peine d’être coupable, soit que coupable elle-même, elle songeât encore à lui et fût malheureuse !

Avec cette saine vigueur de volonté qui accompagne plus souvent qu’on ne pense une sensibilité vive et délicate, le jeune homme arracha pour un temps le fer qui était entré dans son âme, et chercha un soulagement dans les pensées mêmes et les occupations devant