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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/345

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une jeune fille élevée sous ce toit, puis l’abandonner ensuite, fuir comme un lâche le lieu où ma victime était venue mourir, abandonner mon fils et celui de cette malheureuse femme à toutes les tentations de la misère et de la jeunesse, jusqu’à ce que le hasard me le fît retrouver mourant de faim dans un désert mille fois plus terrible que celui d’Agar. Vous, monsieur, qui m’avez jugé ainsi pendant de longues années, vous aurez l’occasion de faire tomber votre sainte colère sur la tête de celui qui la mérite, et en moi que vous avez condamné comme un coupable, vous respecterez un juge ! »

M. Dale fut d’abord ému et intimidé de cette sortie inattendue, mais il était accoutumé à se trouver en face des passions les plus violentes et son calme bon sens, son habitude de l’autorité sur les âmes reprirent bientôt le dessus. « Milord, dit-il, je commence par m’incliner avec humilité devant vos reproches ; je vous prie de me pardonner mon erreur, et comme vous l’avez dit, mon opinion peu charitable. Nous autres habitants des villages et obscurs pasteurs d’un humble troupeau, nous qui sommes miséricordieusement éloignés de la tentation, nous sommes peut-être trop prompts à nous en exagérer le pouvoir sur ceux dont la vie s’écoule dans ce grand monde qui a tant de portes ouvertes au mal. C’est là ma seule excuse de m’être laissé égarer par de trompeuses apparences. Mais pardonnez-moi encore si je vous conjure de ne pas tomber dans une erreur qui ne serait guère moins fatale que la mienne. La colère vous seyait alors que vous vous défendiez d’injustes reproches. Mais, ô milord, quand avec ce front sévère et ces yeux enflammés vous menacez celui dont, oublieux du divin précepte, vous voulez vous constituer le juge, je sens que c’est la vengeance qui parle.

— Appelez-le vengeance ou ce que vous voudrez, dit Harley avec une sombre fermeté, mais j’ai été trop profondément blessé pour ne pas blesser à mon tour. Jusqu’à ces derniers temps, j’ai toujours été franc envers tous ; je le suis encore aujourd’hui envers vous et je vous dis : Je ne prétends exercer aucune vertu en faisant ce que j’appelle justice ; mais ni déclamations, ni homélies tendant à prouver que cette justice est coupable n’ébranleront mes résolutions. J’ai été outragé comme homme, et je punirai en homme. Comment et de quelle manière, quel est le vrai criminel et quelle sera sa juste sentence, c’est ce que vous apprendrez bientôt, monsieur ; j’ai beaucoup à faire ce soir, pardonnez-moi d’ajourner une plus longue conférence.

— Encore un mot, milord, un seul. Vous refusez de m’entendre ; je suis pour vous presque un étranger, mais vous avez un ami, un ami cher et intime, en ce moment sous votre toit. Voulez-vous du moins consentir à prendre conseil de M. Egerton ? Personne ne saurait douter de l’affection qu’il a pour vous ; on ne saurait non plus douter qu’il ne vous conseille ce qui siéra le mieux à votre honneur. Vous hésitez, milord ! vous avez honte de confier à votre meilleur ami un dessein qu’il condamnerait sans doute. Eh bien, je vais l’aller trouver, je vais le conjurer de vous sauver de ce qui ne peut vous causer que des regrets.