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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/354

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combien j’aimais Nora Avenel. Il m’était défendu de la voir et de lui exprimer mes vœux ; vous aviez auprès d’elle cet accès qui m’était interdit. Je vous priai de combattre des scrupules que je croyais trop généreux, et de la conjurer non pas d’accepter le déshonneur, mais de devenir ma femme. Cela est-il vrai ? Répondez.

— C’est vrai, dit Audley, la main pressée sur son cœur.

— Vous vîtes celle que j’aimais, que j’avais confiée à votre honneur, et vous lui parlâtes de votre propre amour. Cela est-il vrai ?

— Harley, je ne nie rien, mais cessez, je vous en supplie. J’accepte le châtiment ; je renonce à votre amitié, je quitte votre toit, je me soumets à votre mépris ; je n’ose implorer votre pardon ! Cessez ; laissez-moi partir, et partir bientôt. » Et l’homme fort était haletant. Harley le regarda fixement, puis il détourna la tête et continua : « Ce n’est pas tout. Vous lui parlâtes d’amour, vous l’épousâtes ; rendez-moi compte de cette vie que vous avez séparée de la mienne. Vous gardez le silence. Je vais répondre à votre place ; vous ne prîtes cette vie que pour la sacrifier.

— Épargnez-moi ! épargnez-moi !

— Quel a été le sort de celle qui semblait si fraîchement descendue du ciel lorsque mes yeux la virent pour la dernière fois ? Un cœur brisé, un nom déshonoré, une mort prématurée, une tombe oubliée.

— Non, non, pas oubliée !

— Pas oubliée ! Avant qu’un an se fût écoulé, vous étiez l’époux d’une autre. Je contribuai moi-même à ce mariage qui vous apporta la fortune. Vous l’avez eue, et avec elle le rang, le pouvoir, la renommée. Les pairs du royaume vous nomment le type du gentleman anglais. Les prêtres vous citent comme le modèle de l’honneur chrétien. À bas le masque, Audley Egerton ! Que le monde vous connaisse pour ce que vous êtes ! »

Egerton releva la tête et croisa les bras sur sa poitrine avec calme ; mais il dit d’un ton de triste humilité : « Je dois tout supporter de vous ; c’est juste. Continuez, Harley.

— Vous m’enlevâtes le cœur de Nora Avenel, vous l’abandonnâtes, vous fûtes cause de sa mort. Et sa mémoire ne jeta pas même une ombre sur votre prospérité ; tandis que toutes mes pensées, que ma vie tout entière, oh ! Egerton, — Audley, Audley, — comment avez-vous pu me tromper ainsi ! » Et toute la tendresse que recouvrait cette haine, la fontaine cachée sous le roc faillit faire irruption. Harley honteux de ce moment de faiblesse, reprit :

« Vous m’avez trompé, non pas une heure, non pas un jour, mais pendant toute ma jeunesse flétrie, mon âge mûr découragé ; vous m’avez laissé me consumer dans des remords qui eussent dû être les vôtres ; sa vie a été détruite, la mienne a été perdue ; ne serons-nous donc vengés ni l’un ni l’autre ?

— Vengés ? Ah ! Harley, vous l’avez été !

— Non ; mais je le serai. Ce n’est pas en vain que la tombe m’aura livré le récit que je vous apporte. Et qui le destin a-t-il