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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/37

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je sois d’une magnanimité si extravagante. Songez à la satisfaction, à l’immense satisfaction que j’éprouverais de savoir Violante à l’abri des mauvais desseins de Peschiera ; en sûreté pour toujours sous la protection d’un mari. Je vais vous dire un proverbe italien qui renferme une vérité pleine de sagesse et de menace :

« Hai cinquante amici ? — Non basta. — Hai un nemico ? — E troppo. »

— Il est arrivé quelque chose ! répéta Randal sans faire attention à la conclusion de ce discours et entendant à peine le proverbe que le sage prononçait d’un ton si emphatique ; il est arrivé quelque chose ! Mon ami, soyez plus explicite, qu’est-il arrivé ? »

Riccabocca demeura muet.

« Quelque chose qui vous engage à me donner votre fille ? »

Riccabocca fit un signe de tête affirmatif et se mit à rire silencieusement.

« C’est le rire d’un démon, dit intérieurement Randal, il s’agit bien sûr de quelque chose qui la rend peu désirable. Il se trahit lui-même. C’est ce qui arrive toujours aux gens rusés. »

« Pardonnez-moi, dit l’Italien, si je ne réponds pas à votre question ; vous saurez tout plus tard, mais à présent, c’est encore un secret de famille. Et maintenant il faut que je vous confesse une autre cause de ma franchise envers vous. (Ici le visage de Riccabocca changea d’expression et s’anima d’une rage mêlée de terreur). Il faut que vous sachiez, dit-il en baissant la voix, que Giacomo a aperçu un étranger tournant autour de la maison et regardant aux fenêtres ; et nous ne doutons pas, lui et moi, que ce ne soit un émissaire de Peschiera.

— Impossible ! Comment vous aurait-il découvert ?

— Je n’en sais rien, mais lui seul a intérêt à me faire espionner. L’homme s’est tenu à distance et Giacomo n’a pu voir son visage.

— Ce n’est peut-être qu’un promeneur. Est-ce là tout ?

— Non ; la vieille femme qui nous sert dit qu’on lui a demandé dans une boutique si nous n’étions pas Italiens.

— Et qu’a-t-elle répondu ?

— Que non ; mais elle a avoué que nous avions un domestique étranger.

— Je surveillerai cela. Soyez certain que si Peschiera vous a découvert, je le saurai. Je me hâte de vous quitter afin de commencer mon enquête.

— Je ne veux pas vous retenir. Puis-je penser que maintenant nos intérêts sont communs ?

— Oh ! oui, oui ; mais votre fille ! comment oserais-je espérer qu’une créature si belle, si parfaite, veuille confirmer l’espérance que vous m’avez donnée ?

— La fille d’un Italien est élevée dans l’idée qu’un père a le droit de disposer de sa main.