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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/402

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tantôt feuilletant son cher Horace et répétant tout haut quelques-unes de ces odes qui font de la brièveté de la vie une excuse pour en savourer les plaisirs et en éviter les fatigues ; Violante entre doucement dans la chambre, s’assied près d’Harley sur un petit tabouret, et le menton appuyé sur sa main, elle le regarde avec ses beaux yeux noirs, profonds, éloquents, puis à mesure qu’elle parle, un changement se fait dans la physionomie d’Harley ; son front devient pensif et sa lèvre cesse de sourire. Violante n’assume pas le ton d’une femme soi-disant supérieure, elle ne fait ni sermon ni remontrance, mais sa douce éloquence élève sans y prétendre l’âme de l’ami qui l’écoute ; l’Horace est mis de côté ; un livre bleu se trouve le remplacer sans qu’on sache comment, et Violante veut se retirer doucement comme elle est entrée, mais la main d’Harley la retient.

« Non pas, non pas. Partage la besogne où je l’abandonne. Voici un extrait que je te condamne à copier. Crois-tu que je voulusse prendre la peine de faire ce travail, si tu ne devais pas jouir du succès ? Partageons donc aussi la peine ! »

Et Violante ravie l’embrasse et se met toute fière à travailler près de lui. Je ne sais si Harley étudia bien profondément le livre bleu ce matin-là, mais peu de jours après il parla à la Chambre des pairs de manière à dépasser tout ce qu’avaient jamais fait espérer ses talents. Lorsque Harley eut une fois goûté les douceurs de la renommée et la joie de se sentir utile, sa destinée fût fixée. Un an ne s’était pas écoulé que sa voix était l’une des puissances de l’Angleterre. Un soir, après un triomphe signalé, il rentra avec son père qui en avait été le témoin, et Violante s’élança à sa rencontre. Elle avait gardé son fils plus tard que de coutume, pressentant peut-être le triomphe de son mari, elle avait voulu que l’enfant attendît son retour. Le vieux comte s’approchant de son petit-fils, posa la main sur sa tête bouclée et dit avec un sérieux inaccoutumé :

« Mon enfant, tu traverseras sans doute bien des temps difficiles d’ici à ce que tes cheveux aient blanchi comme les miens, souviens-toi de ces paroles d’un vieillard qui n’avait point reçu les talents qui donnent la gloire, mais qui cependant a su être utile en son temps. Ni les titres pompeux, ni les vastes domaines, ni les facultés transcendantes ne te donneront de joies véritables, si tu ne te regardes comme responsable de tous ces biens envers Dieu et envers ton pays, et si tu es jamais tenté de croire que les dons que tu tiens de tous deux ne t’imposent point de devoirs, ou que ces devoirs sont incompatibles avec les plaisirs réels ; souviens-toi du jour où je t’ai placé dans les bras de ton père en te disant : « Fais qu’il soit un jour aussi fier de toi, que je suis aujourd’hui fier de lui. »

— Je tâcherai, » fit l’enfant, et Harley se pencha sur lui en disant : « Sa mère parle par sa bouche. »

La comtesse spectatrice silencieuse de cette scène se leva alors et vint baiser avec respect la main du comte. Peut-être ce baiser exprimait-il le sentiment de repentir avec lequel elle s’avouait combien