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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/48

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toute apparence, chaque chose précisément comme elle l’avait trouvée, c’était là un de ces problèmes que tout le génie de Léonard n’avait pu parvenir à résoudre. Mais mistress Fairfield était ravie lorsque M. Norrey arrivait et disait (il n’eût eu jamais garde d’y manquer) :

« Comme tout ici est proprement tenu ; je ne sais ce que deviendrait Léonard sans vous, mistress Fairfield ? »

Et au grand divertissement de Norrey, mistress Fairfield lui répondait invariablement :

« Je vous remercie, monsieur, vous êtes bien honnête ; m’est avis que le salon aurait terriblement de poussière. »

Léonard laissé seul retomba dans sa rêverie et son visage reprit l’expression qui lui était devenue habituelle. Il avait bien changé depuis l’époque où nous l’avons vu. Ses joues étaient pâles et maigres, ses lèvres fermement serrées, son regard fixe et distrait. On devinait que le chagrin avait passé par là. Mais la mélancolie de sa physionomie était d’une douceur et d’une sérénité ineffables, et sur son large front se lisait cette puissance, si rare dans la première jeunesse, la puissance de celui qui a vaincu, et qui jouit de sa victoire dans le calme. La période de doute, de lutte, de défiance de soi était passée, peut-être pour toujours ; le cœur et le génie étaient réconciliés avec la vie humaine. Son visage était aimable, l’expression en était si paisible et si douce !

Léonard demeura plongé dans sa rêverie jusqu’au moment où il entendit sonner à la porte du jardin ; il tressaillit alors, se dirigea rapidement vers le vestibule, et sa main serra celle d’Harley L’Estrange.


CHAPITRE XIV.

Une heure s’écoula rapidement, en questions de la part d’Harley, en réponses de celle de Léonard ; c’était la forme que le dialogue devait prendre naturellement entre eux deux, dans une première entrevue, après des années qui, pour le jeune poète, avaient été si remplies.

L’histoire de Léonard était, au reste, presque tout intérieure ; c’était celle de la lutte de l’intelligence contre ses propres difficultés, des courses de l’imagination à travers son propre royaume.

Le premier soin de Norrey, en préparant l’esprit de son élève à sa vocation, avait été de rétablir l’équilibre de ses facultés, de ramener à l’harmonie les éléments si rudement secoués par les épreuves et les passions de la vie extérieure.

La théorie de Norrey était celle-ci : L’éducation d’un être supérieur consiste à développer certaines idées dans un seul, pour l’avan-