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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/58

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— Qu’elles lui pardonnent encore, dit Harley avec une suprême douceur d’accent et de regard. Je reprends mon récit. Lorsque votre femme arriva en Suisse, sa santé, qui, vous le savez, avait toujours été délicate, s’altéra complètement ; à la fatigue et à l’anxiété succéda une fièvre accompagnée de délire. En quittant l’Italie elle avait emmené cette fille, la seule à laquelle elle pût se fier, car elle soupçonnait Peschiera d’avoir corrompu ses domestiques à prix d’or. En présence de cette femme et dans son délire, elle protestait de son innocence, elle prononçait le nom du comte avec terreur et aversion, et vous suppliait de venger votre honneur et le sien.

— C’était en effet du délire. Malheureuse Pauline ! » et Riccabocca cacha son visage dons ses mains.

« Mais elle avait des intervalles lucides ; dans un de ces moments elle se leva malgré les efforts de la servante pour l’en empêcher, prit dans son pupitre plusieurs lettres, et après les avoir lues, s’écria douloureusement :

« Mais comment les lui faire parvenir ? À qui me fier ? Et son ami est parti ! » Puis une soudaine inspiration lui arracha une exclamation de joie, elle s’assit et écrivit longtemps, rapidement ; elle fit des lettres et de ce qu’elle venait d’écrire un seul paquet qu’elle cacheta soigneusement, puis elle ordonna à sa servante de le porter à la poste avec l’injonction de ne le confier à personne, car, disait-elle (je répète ce que m’a rapporté la servante), c’est le seul moyen qui me reste de prouver à mon mari que bien que j’aie eu des torts, je ne suis pas la créature coupable et dégradée qu’il me croit. C’est aussi le seul moyen que j’aie de racheter mes fautes et peut-être de rendre à mon mari son pays, à ma fille son héritage.

« La servante porta le paquet à la poste, et lorsqu’elle revint, elle trouva sa maîtresse endormie et souriant dans son sommeil. Mais, à son réveil, celle-ci fut de nouveau en proie au délire et le lendemain elle était morte ! » Ici Riccabocca ôta une de ses mains de devant son visage et serra le bras d’Harley comme pour le supplier de s’arrêter. Son cœur luttait contre son orgueil et sa philosophie, et Harley fut longtemps avant de le décider à considérer les avantages qui pouvaient résulter pour lui des dernières communications de sa femme. Riccabocca ne permit à son ami de continuer qu’après s’être convaincu lui-même et avoir à demi persuadé à Harley (car de fortes présomptions s’élevaient contre la défunte) que toutes les protestations d’innocence de sa femme n’avaient été que les rêveries du délire.

« Quoi qu’il en soit, dit Harley, nous avons toute raison de croire que les lettres étaient celles de Peschiera, et s’il en est ainsi, elles fourniraient la preuve de son influence sur votre femme et de ses perfides machinations contre vous-même. Je voulus, avant de venir ici, passer par Vienne ; j’y appris avec terreur que Peschiera avait non-seulement obtenu la sanction impériale pour demander la main de votre fille, mais qu’il s’était vanté d’avance de réussir auprès d’elle et qu’il était en route pour l’Angleterre. Je compris sur-le-champ que s’il parvenait, par un artifice quelconque, à vous enlever Violante (car je savais d’avance qu’il n’obtiendrait pas votre consen-