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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/6

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il ne perdait jamais de vue sa maison. Sa promenade favorite était une petite colline fort proche, couverte de broussailles rabougries. Là il s’asseyait souvent, perdu dans ses pensées, jusqu’à ce que les pas du cheval de Randal se fissent entendre sur la route, à l’heure où le soleil, rouge et entouré de vapeurs, se couchait dans le ciel d’automne.

Au pied de la colline, à deux cents mètres environ de la demeure de l’exilé, se trouvait la seule habitation en vue ; un charmant cottage, quelque peu imité de la Suisse, avec un toit de chaume et de jolies fenêtres en saillie, entourées de grands rosiers et de plantes grimpantes. De cette hauteur, il dominait le jardin du cottage, et son œil d’artiste avait dès l’abord été ravi du goût exquis avec lequel était orné et dessiné ce jardin. Malgré la saison avancée, il avait encore le sourire de l’été ; les arbres verts y étaient si brillants et si variés, et les quelques fleurs qui restaient si vigoureuses et si belles ! Du côté du midi était une sorte de galerie couverte de bois rustique ; des plantes grimpantes commençaient à en garnir les colonnes. En face de cette galerie se trouvait une fontaine, qui rappela à Riccabocca celle du Casino abandonné ; elle y ressemblait en effet singulièrement. C’était la même forme circulaire, entourée de la même ceinture de fleurs, mais ici le jet d’eau variait chaque jour, fantasque et multiforme comme les ébats d’une naïade, tantôt s’élançant droit comme un pin, tantôt semblable à un convolvulus, parfois lançant avec son écume argentée une fleur rouge ou un fruit doré, semblable à un enfant qui s’amuse d’un jouet. Près de la fontaine était une volière assez grande pour enclore un arbre. L’Italien apercevait de loin les riches couleurs des oiseaux, tandis qu’ils volaient d’un côté à l’autre du grillage, et il entendait leurs chants joyeux qui contrastaient avec le silence de la population libre des airs, rendue muette par l’approche de l’hiver.

Ce jardin faisait les délices de l’Italien, toujours sensible à la beauté sous toutes les formes. Il oubliait en le contemplant ses craintes pleines d’angoisses et ses tristes souvenirs.

Tandis que Riccabocca cherchait ainsi à se distraire, Randal n’avait été empêché ni par ses travaux officiels, ni par ses projets sur le cœur et la fortune de Violante, de travailler à réaliser son dessein de marier Frank à Mme di Negra. Un rayon d’espoir avait suffi pour enflammer le jeune et confiant amoureux ; et la manière artificieuse dont Randal lui avait rapporté sa conversation avec mistress Hazeldean, avait fait évanouir toute crainte du déplaisir paternel, dans un esprit toujours disposé à s’abandonner à la tentation du moment ; Béatrix, bien qu’elle n’eût pas d’amour pour Frank, subissait de plus en plus l’influence des arguments et des représentations de Randal, et cela d’autant plus que son frère devenait sombre et même menaçant, à mesure que les jours s’écoulaient, sans qu’elle pût lui fournir aucun indice sur la retraite de ceux qu’il cherchait. Ses dettes aussi étaient pressantes. Ainsi que l’avait conjecturé Randal dans son mépris de l’humanité, les scrupules d’honneur et de fierté qui lui