Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/231

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— Est-ce qu’elle est ici ? lui dis-je.

— Oui, me répondit-il, elle vient de passer dans la salle des rafraîchissements avec ma mère ; sitôt qu’elles seront rentrées, je vous présenterai. »

Pendant que Glanville me parlait, trois dames entre deux âges, qui depuis dix minutes avaient entre elles une conversation très-animée, s’approchèrent de nous.

« Lequel est-ce ? lequel est-ce ? » dirent deux d’entre elles, assez haut pour que nous pussions les entendre.

« Celui-ci ! » répliqua la troisième ; et, venant droit à Glanville, elle s’adressa à lui, à mon grand étonnement, dans des termes hyperboliquement élogieux :

« Votre ouvrage est admirable, admirable ! lui dit-elle.

— Oh ! tout à fait, dirent les deux autres, faisant écho.

— Je ne dirai pas, recommença la Coryphée, que j’en aime la morale… au moins, pas sans réserve, non, non, pas sans réserve.

— Pas tout à fait sans réserve, » répétèrent ses coadjutrices.

Glanville prit son air le plus superbe, et, après trois profonds saluts accompagnés d’un sourire qui annonçait un dédain peu équivoque, il tourna sur ses talons et s’éloigna.

« Votre Grâce a-t-elle jamais vu un ours pareil ? dit l’un des échos.

— Jamais ! répondit la duchesse d’un air mortifié. Mais c’est égal, je ne le lâcherai pas comme cela. Il est bien beau, pour un auteur ! »

Je descendais l’escalier, ennuyé à périr, lorsque Glanville me mit la main sur l’épaule.

« Voulez-vous que je vous emmène chez vous ? me dit-il, ma voiture est en bas. »

Je fus trop heureux d’accepter.

« Depuis quand êtes-vous devenu auteur ? lui dis-je dans la voiture.

— Depuis quelques jours, me répondit-il. J’ai essayé de tout…, et de tout en vain. Oh ! mon Dieu, que je serais heureux d’avoir une illusion ! faut-il que je sois toute ma vie martyr d’une vérité brûlante, toujours présente, éternelle, ineffaçable. »