Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/74

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Vous excellez dans les biographies, les mémoires, la comédie, les observations satiriques sur certaines classes de la société, les aphorismes ingénieux ; mais vous êtes plutôt portés à considérer l’homme dans ses rapports avec la société, et à étudier les divers mouvements de l’activité humaine, qu’à vous plonger dans la contemplation des opérations abstraites et métaphysiques de l’esprit. Nos écrivains, au contraire, se complaisent davantage dans les spéculations abstraites ; ils aiment à considérer l’homme isolé, à le regarder penser quand il est seul dans sa chambre, tandis que vous, vous aimez mieux le voir agir dans le monde au milieu de la foule.

— Il faut avouer, dit M. d’E., que s’il en est ainsi, à supposer que vos philosophes soient plus profonds, les nôtres sont plus utiles. »

Vincent ne répondit pas.

« Mais, dit sir George Lynton, en ce sens même vos philosophes auraient le dessous car, comme leurs maximes sont moins généralement applicables, il en résulte qu’elles sont moins utiles. Les ouvrages qui traitent de l’homme dans ses relations avec la société ne peuvent être absolument applicables qu’autant que dure le genre de relations sociales dont ils traitent. Par exemple, le théâtre fait la satire d’une certaine classe d’individus : eh bien, quelle que soit la profondeur des réflexions, et l’exactitude des détails satiriques, cette critique devient nécessairement surannée quand la classe d’individus contre lesquels elle était dirigée devient surannée elle-même ; tel pamphlet politique qui convient parfaitement sous certain gouvernement, sera absurde sous un autre ; tel roman qui dépeint exactement l’époque actuelle, paraîtra étrange et bizarre à la génération suivante. De même les ouvrages qui traitent de l’homme dans sa vie de relation et non de l’homme en lui-même, ne sont populaires qu’à l’époque et même dans le pays où ils ont pris naissance. Tandis que, d’un autre côté, les ouvrages qui traitent de l’homme en lui-même, qui saisissent, dévoilent, analysent l’esprit humain, le montrent tel qu’il est, ceux-là, qu’ils parlent des anciens ou des modernes, des sauvages ou des Européens, seront évidemment