Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/57

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me gratifier, quelque ordinaires, quelque humbles que soient du reste mes facultés intellectuelles.

— Bah ! bah ! M. Clutterbuck, comment voulez-vous qu’on vous appelle, quand vous vous hébétez la tête toute la journée avec un tas de bouquins qui ne valent pas deux sols ! Maintenant, dites-moi un peu à quoi vous pensez d’aller inviter à dîner M. Pelham, quand vous savez que nous n’avons rien au monde si ce n’est un hachis de mouton et du pudding aux pommes ? Est-ce ainsi, monsieur, que vous traitez votre femme pour la récompenser de la bonté qu’elle a eue de vous épouser ?

— Réellement, répondit le patient Clutterbuck, je n’avais pas pensé à cela ; mais mon ami se soucie aussi peu que moi des jouissances grossières de la table, et le plaisir purement intellectuel de la conversation est tout ce qu’il est venu chercher sous notre toit.

— Le plaisir d’entendre des balivernes, M. Clutterbuck ! A-t-on jamais entendu dire des sottises pareilles ?

— D’ailleurs, reprit le maître de la maison sans relever l’interruption, nous avons à lui offrir quelque chose qui peut flatter le palais, un mets des plus délicats, et que lui comme moi, nous avons la faiblesse peu philosophique de priser infiniment ; je veux parler des huîtres que nous a envoyées notre bon ami le Dr Swallowem.

— Que dites-vous donc, M. Clutterbuck ? ma pauvre mère et moi, nous avons soupé avec ces huîtres hier soir. Car elle et ma sœur meurent ici de faim, mais vous, il faut toujours que vous soyez servi et rassasié avant tout le monde !

— Non, non, répondit Clutterbuck, vous savez que vous m’accusez injustement, Dorothée ; mais, j’y songe, ne serait-il pas mieux de baisser un peu la voix, à cause de notre hôte (voilà encore une circonstance qui m’était sortie de la mémoire ;) car je l’ai fait entrer là dans la chambre à côté, pour qu’il pût se laver les mains, ce qui me semblait bien inutile vu leur extrême blancheur. Je ne voudrais pas qu’il vous entendît, Dorothée, de peur que dans son bon cœur il n’allât s’imaginer que je suis moins heureux qu’il ne croyait.