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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/100

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Un peu d'attention suffira pour nous convaincre qu'aucun ornement n'est répété deux fois d'une manière identique, et qu'ainsi on n'a pas dû se servir de modèle, non plus que pour les vases grecs (voir plus bas). Je crois pouvoir affirmer que les peintres, à l'exception de la règle, du compas et d'un instrument de mesurage, n'avaient besoin d'aucune aide, et qu'ainsi, sauf les lignes droites, quelques lignes courbes et les principales proportions, ils faisaient tout leur travail à main levée. Leur dextérité était très grande ; ils travaillaient sans nul doute plus vite qu'ils ne l'eussent fait avec tous les instruments des décorateurs modernes. Les ornements de stuc étaient traités de même ; dans le tepidarium des Thermes de Pompéi [a], qu'on examine, par exemple, la grande frise blanche à rinceaux, et l'on verra que les spirales de feuillage qui se répondent de quatre en quatre ont chacune une physionomie particulière et indépendante. La petite corniche au-dessous est un motif qui se répète continuellement, car c'eût été ici une peine vraiment inutile de l'exécuter à main levée. Mais les artistes dont il s'agit étaient de simples ouvriers d'une petite ville provinciale. Ils avaient certainement aussi peu inventé la grande variété de ces magnifiques ornements que les meilleures figures et les meilleures scènes qu'ils y encadraient. Leur capacité consistait à se rappeler, avec une facilité, une assurance et une perfection indicibles, les motifs qu'ils savaient par cœur ; mais ce n'était là qu'une partie de ce capital foncier de l'art antique qui circulait partout.

Une telle décoration ne pouvait réussir que dans ces maisons sans fenêtres qui nous étonnent si fort à Pompéi. Il fallait à cette peinture la muraille entière pour se développer. Une autre condition était un mobilier rare et simple. Celui qui voudrait avoir dans le Nord une décoration semblable, devrait organiser exprès son habitation, et renoncer à tout le confort qui lui tient au cœur.

La décoration consistait généralement en une extension idéale, en perspective, des salles par des représentations architecturales, en même temps qu'on limitait d'une manière variée cette perspective au moyen de parois intermédiaires que nous comparerons, pour être clair, à nos paravents. On ne doit pas s'attendre à une exécution logique de ces fictions architecturales ; mais l'ensemble produit sans contredit une impression agréable. Les couleurs sont très vives, comme on sait, surtout aussitôt après la découverte ; le rouge, le bleu, le jaune, etc., sont très accentués ; le noir aussi est des plus intenses. On n'observait pas une teinte dominante ; le rouge, le violet, le vert, sont juxtaposés sur la même paroi. Nous remarquons avec plus de surprise encore que l'on ne se faisait pas une règle de placer les couleurs claires au-dessus des couleurs sombres. Une série de fragments d'une très belle muraille (au Musée [b]) commence en bas par un socle jaune auquel fait suite une surface principale du plus beau rouge couronnée par une frise noire ; à vrai dire, c'est le contraire qui se trouve habituellement.