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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/176

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endormi, et l’art en fit le type de tout être jeune, aux formes belles et élégantes, en proie à un sommeil agité. Il en est ainsi de la superbe statue du Louvre, dont celle de la Villa Borghese [a] et celle des Uffizi [b] (placées aux endroits auxquels elles ont donné leur nom) sont des reproductions ; la dernière est la meilleure, mais la plus mal conservée. Un torse du Musée Chiaramonti au Vatican [c] est celui d’un Hermaphrodite fuyant probablement devant Pan ou devant un satyre.


Le dernier dieu à qui l’art donna une forme idéale fut Antinoüs, le favori d’Adrien, que cet empereur plaea au rang des dieux. Il s’agissait de conserver, dans ses traits essentiels, l’image du jeune homme mort volontairement pour Adrien (130 ap. J.-C-), et en même temps d’en faire un idéal de beauté. Les traits et le corps y prêtaient plus que l’expression intellectuelle ; c’est une figure aux formes pleines et riches ; le front est large et la poitrine développée ; les lèvres et le cou sont voluptueux. Cependant si belle que soit l’expression des yeux et de la bouche, spiritualisés par une tristesse juvénile, la figure garde comme une nuance de méchanceté, presque de cruauté.

Outre de nombreux bustes, qui donnent en général à Antinoüs l’air d’un jeune héros, par exemple ceux de la Sala Rotonda au Vatican [d], il y a un grand nombre de statues dans lesquelles il est personnifié comme un génie bienfaisant, tenant parfois la corne d’abondance, ou comme telle ou telle divinité. Tels sont l’Antinoüs avec les attributs de Vertumne (salle 3 du Palais de Latran) [e], le grand buste d’Antinoüs qui figure dans un bas-relief de la Villa Albani [f], l’Antinoüs représentant Osiris au Musée égyptien du Vatican [g], et surtout le magnifique Antinoüs sous les traits de Bacchus, dans la Rotonde du Vatican [h] (autrefois au palais Braschi), qui est une des plus élégantes statues colossales de la dernière époque parmi les statues héroïques sans attributs, celle du Musée de Naples [i] (corridor 3) est incontestablement l’une des plus belles.

La belle statue du Capitole (salle dit Gladiateur mourant) [j] porte avec raison le nom d’Antinoüs. La figure reproduit le type d’un Mercure ou d’un athlète, mais les formes sont moins élancées, plus ramassées que dans les statues de ce genre ; on ne peut nier la ressemblance de la tête avec les portraits d’Antinoüs, mais on ne retrouve pas dans cette œuvre le magnifique développement des formes qui est un des caractères des figures d’Antinoüs[1]. Le soi-disant Antinoüs du Vatican (Belvédère) [k] est, comme nous l’avons dit plus haut, un Mercure.


Dans les derniers temps de l’empire, quand une superstition grossière poussait les Romains au culte des dieux étrangers, à cause même de leur

  1. Elle a plutôt quelque chose de cette tristesse qu’on voit sur les traits de Mercure, et sur le visage d’Antinoüs aussi, comme nous l’avons déjà remarqué.