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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/199

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elle fournie par un certain nombre de peintures du Titien, dans lesquelles les hommes du xvie siècle se présentent à nous plus grands et plus dégagés de toute expression momentanée et de toute petitesse de caractère qu'ils ne l'ont peut-être jamais été.

Les statues les plus pompeuses, et en partie colossales, qui furent érigées à Antioche, à Alexandrie, à Pergame et dans d'autres résidences de cette époque, sont toutes perdues, et notre jugement est limité à quelques têtes du Musée de Naples [a], qui ne sont peut-être que des copies de sculptures contemporaines. (Le Ptolémée Soter, en marbre, dans le 2e corridor ; les autres cinq Ptolémées, sans compter la Bérénice douteute (page 100), 3e salle des Bronzes.) Il paraîtra éternellement instructif de constater comment les irrégularités des traits du visage peuvent être franchement avouées et pourtant pénétrées d'une expression élevée, (Nous ne déciderons pas si la tête de femme singulièrement bouclée représente vraiment l'efféminé Ptolémée Apion ; il ne reste, à notre connaissance, de la célèbre Cléopâtre que la petite tête très douteuse qui se trouve dans la salle des Philosophes du Museo Capitolino [b].)

Ce qui est et reste une énigme, c'est le portrait du fondateur de toute la splendeur des Diadoches, Alexandre le Grand lui-même. On sait combien il tenait à ce que ses traits fussent transmis à la postérité avec la conception et l'exécution le plus élevées et le plus magistrales, et que Lysippos possédait, pour ainsi dire, le privilège de le représenter. Et de fait la célèbre tête colossale du Museo Capitolino [c] (salle du Gladiateur mourant) nous montre un Alexandre divinisé, et même, comme on l'accepte, un dieu du Soleil. Il était ainsi représenté au moins dans l'une des œuvres de Lysippos, dont celle-ci pourrait être une imitation. On voit encore, dans les boucles des cheveux, les trous destinés à recevoir les rayons du soleil. C'est une belle tête puissante, aux boucles de cheveux relevées en ondes sur le front ; le trait moderne de la mélancolie, qui paraît provenir du pressentiment d'une mort prochaine au milieu des splendeurs du conquérant de l'Asie, aurait été absolument étranger à l'art grec antérieur, tandis qu'il est très caractéristique pour l'époque des Diadoches. Cette expression est accentuée au suprême degré dans une tête du musée de Florence (Uffizi [d], salle de l'Hermaphrodite). Ici l'intensité de la douleur est extraordinairement exprimée dans les sourcils relevés sur le front et dans la bouche ; le fils de Philippe pourrait devenir un jeune Laocoon. On surnomme cette œuvre exceptionnelle «, Alexandre mourant », mais ce mourant ne peut être Alexandre. Quel artiste, quel sculpteur irait choisir comme sujet la mort d'un héros qui a expiré tranquillement dans son lit, d'un trépas très peu digne de sa vie ? Cette tête plutôt que le portrait d'Alexandre serait peut-être l'un des Géants mourants de la gigantomachie de Pergame. Il est impossible de dire quel héros ou quel homme l'artiste a voulu représenter.

Nous ne savons plus rien de la statue équestre érigée par Alexan-