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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/210

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rables des caractères comiques ou tragiques. Quel visage d’acteur aurait suffi à rendre le Prométhée enchaîné ou ses bourreaux Cratos et Bia ? — Mais les masques devaient avoir, n’importe où on les conservait, même simplement accrochés au mur, un aspect monumental, significatif, tel qu’on a dû essayer de le fixer d’une manière permanente ; cette idée ne pouvait venir à personne plus tôt et plus vite qu’au faiseur de masques lui-même, qui était un artiste important et certainement honoré, peut-être sculpteur en même temps, à une époque qui séparait si peu les genres dans les arts. En dehors des théâtres, on employait les masques dans les cortèges, les processions et les cérémonies de tous genres ; comment pouvait-on mieux les annoncer qu’en suspendant des masques à des cordons ou à des guirlandes ? C’est à un bâtiment quelconque, se rapportant à une destination semblable, et plutôt à un théâtre que partout ailleurs, que le premier masque taillé en pierre dut être placé pour immortaliser l’impression de la cérémonie. Quand et comment ? c’est ce que nous ne pouvons que difficilement deviner ; peut-être comme acroterion (ornement de fronton), bientôt peut-être aussi en nombreuses reproductions en dedans d’une frise, comme métope d’une salle dorienne. Cependant les personnages de tragédie, dieux et hommes du temps héroïque, avaient déjà dans l’art une pose si significative, si purement idéale, qu’ils n’avaient pas beaucoup à gagner à cette nouvelle forme, et c’est ainsi que l’on peut s’expliquer la prédominance des masques comiques. Ceux-ci s’adaptèrent complètement au service de l’architecture et durent se prêter dans le cours des temps à tous les usages. (Nous savons, par des monuments funéraires athéniens qui se sont conservés, qu’on employait les masques comme offrandes après une victoire.)

La forme baroque de leur bouche se prêtait peu aux bouches d’eau des bâtiments et aux bouches de fontaines à la bonne époque, tout au moins, on conserva le premier emploi aux têtes de lions (voy. plus bas) ; pour le dernier, l’art créa un nouveau monde de figures de fontaines. Par contre, avec leur drôlerie démoniaque, ils étaient comme créés pour les jets d’eau chaude et de vapeur dans les bains chauds ; plus grands, ils pouvaient aussi absorber par les yeux, les narines et la bouche l’eau qui s’écoulait des bains, aussi bien que des cours en plein air (comme impluvium). Peut-être la plupart étaient-ils simplement des décorations de bâtiments de diverses espèces.

Il faut cependant, en somme, estimer leur style. Ce sont les seules caricatures qui appartiennent au grand art, les limites du laid dans le domaine du beau. Aussi, là, dans la grimace la plus accentuée, on ne remarque rien de maladif, de chagrin, de pénible ou de bassement méchant. Ce qui semble être le fond de l’expression, c’est la multiple variété de l’effort dans les cris transportée sur une série de types comiques. Calculé pour être vu de loin, le travail en est rapide, rude, énergique ; dans les collections plus nouvelles, ils sont placés à dessein haut et loin, sur