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VENISE.

de pierres précieuses, en haut, à l’aide de mosaiques, est encore dans l’esprit des dix premiers siècles ; c’est la richesse des matériaux qui est appelée à y preduire le plus d’effet. Tout le détail plastique, au contraire, par où doivent s’exprimer la vie et le mouvement de l’architecture, est d’une extrême pauvreté. Les corniches sont à peine marquées ; les arcs ; les bordures des coupoles, etc., à l’intérieur n’ont pas même de profil saillant, mais seulement une vague bordure de mosaïque. Au dehors, les moulures ne consistent qu’en une simple ornementation ou en bandes arbitraires et sans expression. Ce sont là des particularités vraiment byzantines et orientales, et il y faut ajouter encore le revêtement des surfaces murales extérieures à l’aide de reliefs épars et d’ornements en mosaïque qui, surtout dans les frontons circulaires supérieurs du côté du Palais Ducal, offrent le caractère d’un art tombé prématurément en enfance. À certain égard, il est intéressant d’étudier comment, en ce qui concerne le détail, cet art ne vit presque exclusivement que de fragments antiques.

La manie de multiplier autant que possible les colonnes au dehors et au dedans de l’édifice, exigeait de même un choix varié de chapiteaux. Et c’est ainsi que Saint-Marc offre toutes les formes de chapiteaux créées pendant les sept derniers siècles, une véritable récapitulation de l’histoire de l’architecture. Je n’ai pas réussi à découvrir un seul chapiteau antique, tandis qu’il y a sans doute un grand nombre de colonnes qui le sont ; en revanche l’imitation et la modification des chapiteaux antiques pendant les premiers temps du moyen âge s’y trouvent représentées à tous les degrés. Les grands chapiteaux au-dessus des colonnes principales de l’intérieur sont de cette variété de l’ordre corinthien, usitée à Ravenne, ou bien encore d’ordre composite ; l’acanthe y manque trop de vigueur, il est vrai, pour avoir encore le beau profil, onduleux et souple, de l’époque romaine, mais la dentelure des feuilles y est pourtant d’une rare expression ; quelques chapiteaux remplacent les volutes par des têtes de bélier. Outre cette forme ravennate, la plus commune, il y a encore le chapiteau à feuilles presque détachées qui se rencontre à S. Apollinare in Classe et dans la basilique d’Hercule à Ravenne ; parfois même les feuilles sont repliées de côté. Sur les petites colonnes de la façade, particulièrement, il y a des chapiteaux imitant le corinthien, avec une seule rangée de feuilles ; quelques-uns dans le nombre avec des bœufs, des aigles, etc., aux angles.

Par opposition à toutes ces formes dérivées de l’antique, apparaît à Ravenne, dès le VIe siècle, le chapiteau à conque qui est sans vie, et qu’orne seule extérieurement une décoration végétale et calligraphique, assez pauvre, le plus souvent en forme de grillage. Parmi les nombreuses variétés sous lesquelles il est ici représenté, la plus grossière se rencontre dans plusieurs pilastres des murs intérieurs, la plus intéressante dans les colonnes engagées du vestibule qui supportent les arcs. Dans ces