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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 2e partie, trad. Gérard, 1892.djvu/195

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ARCHITECTURE GOTHIQUE.

La façade, commencée dans les derniers temps de la Renaissance, n’a été achevée que par ordre de Napoléon, et en style gothique, par Amati[1]. Il est question de la supprimer, et de donner une autre destination aux parties baroques qui subsistent ; il n’y aurait pas lieu de la regretter, d’autant que les dimensions et l’architecture de la nouvelle place l’écrasent. La façade paraît d’autant plus petite, qu’à l’entrée le regard est surpris de la grandeur de l’intérieur. Mais ces fautes criantes de composition sont instructives pour l’architecte. Pourquoi avoir doublé les puissants contreforts au centre ? Pourquoi ceux-ci ne supportent-ils que des pinacles légers, et pourquoi masquer ainsi l’imposante largeur de la nef centrale ? Pourquoi ce développement d’énergie, pour ne soutenir, à l’extérieur, qu’une étroite bande de mur sans couronnement ? Autant de fautes gratuites qui rapetissent encore les proportions et qui prouvent qu’en art toute erreur s’expie.

À bien des égards, la cathédrale de Milan est une preuve instructive du discernement à faire entre l’effet esthétique et les effets de l’imagination. L’effet produit ici sur l’imagination, pour qui ne se défend pas, est extraordinaire ; c’est comme une montagne de marbre transparente, tirée des carrières d’Ornavasso, splendide à la lumière du jour, féerique aux reflets de la lune, couverte au dehors de sculptures, au dedans de vitraux, et prodigieusement riche en souvenirs historiques, — en somme, un monument sans pareil au monde. Mais pour qui cherche dans les formes une pensée éternelle, et pour qui sait combien de plans sont restés à l’état d’ébauches, tandis que s’élevait à frais énormes la cathédrale de Milan, la vue de cet édifice causera toujours une certaine douleur. Ce n’est pas à dire pourtant qu’il faille négliger les beautés éparses qu’il contient. En face du style rythmé de Saint-Marc et de Saint-Pierre, la cathédrale de Milan reste, avec Saint-Paul de Rome, le type le plus achevé du style plus simple de l’ordre longitudinal. Où trouver ailleurs ces piliers serrés du Nord, pareils à quatre colonnades majestueuses portant cinq nefs gothiques de cette largeur ? En outre, la lumière estompée de ces voûtes solennelles, dans la ville ensoleillée, est aussi bien venue que la clarté des églises gothiques au Nord. C’est cette ampleur puissante, chère au goût italien, de la nef centrale, qui a dérouté tous les maîtres étrangers. Ce sont aussi les résultats de choc d’idées tellement opposées qui donnent à la cathédrale de Milan une importance exceptionnelle[2].

Il convient à ce propos de citer encore la façade de la cathédrale [a] de Gênes. C’est une copie presque fidèle des anciennes façades de ca-

  1. Voir dans l’Opéra de la cathédrale, derrière le chœur, un vieux modèle avec tours.
  2. Parmi les objets intéressants qui se rattachent à la cathédrale de Milan, je cite : les nombreux renseignements du temps d’après les publications et archives de la cathédrale. Les rapports de Bramante et les études de Lionardo de Vinci pour la coupole ; enfin, chez Cesariano, les triangulations gothiques du monument, dont les règles ont été proposées beaucoup plus tard, à l’époque du baroque, pour les voûtes de S. Petronio, à Bologne.