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MONUMENTS PROFANES : FLORENCE.

ridors supportés par de puissantes consoles font saillie tout autour sur une petite cour.) Il est instructif ici de voir comment est né l’ordre rustique moderne (bossages) : on était loin d’y chercher un effet esthétique, et quand le temps ou les moyens le permettaient, on aimait mieux lisser la pierre au ciseau. Si la pierre restait brute, cependant, pour obtenir une juxtaposition exacte, les bords était taillés avec soin. Même pour les édifices publics, on ne cherchait pas à atteindre une uniformité complète des assises, moins encore des pierres mêmes. C’est la Renaissance la première qui découvrit la valeur esthétique de l’ordre rustique, et qui vit, dans la gradation de la pierre brute à la pierre finement travaillée, une source d’heureux contrastes destinés à différencier les étages (comp. t. I, p. 31 note).

Parmi les édifices privés du xive siècle, dans lesquels la colonnade de la cour trahit certaine légèreté de proportions et quelque sentiment de beauté dans l’ordonnance des espaces, je nommerai le Palais Capponi [a] (primitivement Palais Uzzano, Via de’ Bardi, 22), et le Palais Conte Bardi [b] (Via del Fosso, 3), dont la cour repose sur douze colonnes très sveltes avec des pleins cintres surhaussés ; il est attribué à Brunellesco, comme une œuvre de sa première jeunesse.

Arnolfo, l’architecte de la cathédrale, est aussi l’auteur du Palazzo Vecchio [c] (1298). Sa grandeur, les souvenirs qui s’y rattachent, la couleur de la pierre et la tour fantastique prêtent à ce monument un intérêt très supérieur à sa valeur purement artistique. Tout l’intérieur, ainsi que la partie postérieure de l’édifice, sont d’une origine plus récente. – Vasari attribue à Agnolo Gaddi la partie ancienne du Palazzo del Podesta [d] ou Bargello, construite en 1255 (c’est-à-dire la partie la plus élevée et la tour) ; les trois autres côtés de la cour n’ont été ajoutés qu’en 1333-45 par Benci di Cione et Neri di Fioravanti. Comme effet pittoresque, surtout de la cour, le Bargello n’a pas son égal, mais à l’égard du détail, il n’offre guère que des créneaux, des fenêtres à ogives, d’une sobre ornementation, des corniches modestes, et un fragment de galerie sur un côté de la cour. (La nouvelle restauration, qui y a établi le Museo Nazionale ou l’exposition d’œuvres d’art du moyen âge et de la Renaissance, est un modèle à tous égards, mais surtout en ce qui concerne la peinture architectonique.)

Le plus bel édifice gothique profane de Florence est la Loggia de’ Lanzi [e] par Orcagna, commencée en 1376[1]. Ici nous rencontrons de nouveau ce sentiment de l’espace et des formes qui créa S. Maria Novella, S. Croce et la nouvelle cathédrale de Sienne. Le lieu où l’autorité accomplissait les fonctions les plus solennelles, où elle se présentait devant le peuple et lui parlait, en un temps où les Florentins se croyaient

  1. Les capo-maestri, sinon les architectes mêmes, étaient : Bencio di Cione (dont le père était de Côme ; lui-même n’était pas le frère d’Orcagna), Simone di Francesco Talenti, l’auteur des fenêtres de l’Orsanmichele.