Page:Burckhardt - Le Cicerone, 2e partie, trad. Gérard, 1892.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
492
PEINTURE DIT MOYEN ÂGE.

qui exclut pour l’artiste la possibilité d’une exécution personnelle, et ne lui laisse que le dessin des sortons et le choix des couleurs. De plus l’Église ne veut et n’accorde que ce qui est strictement utile au but qu’elle poursuit, mais elle exige l’exéeution la plus imposante. Il n’y a dans la mosaïque que le sujet lui-même, sans cadre ni entourage, sauf ce qui est absolument indispensable à l’intelligence de l’œuvre. Il n’y a pas même le charme de la beauté sensible, car l’Église a un tout autre mode d’agir sur l’imagination. La mosaïque n’a pas non plus égard aux lois artistiques du contraste dans les mouvements, les formes, les couleurs, etc., car l’Église a un tout autre sentiment de l’harmonie que celui qui résulte de la belle opposition des formes. Plus tard, l’artiste n’aura même plus rien à trouver ; il n’aura qu’à rédiger ce que lui prescrit la tradition de l’art, considérée comme sacrée. Il n’y a eu qu’une courte période pendant laquelle l’art a gardé de l’antique une certaine liberté ; et c’est alors que, malgré des limites si tristes, il a su donner encore à ses créations de la grandeur et de la vie. Mais peu à peu l’art cesse de mériter cette derniers gratitude ; et il se réduit enfin à n’être qu’une sorte de répétition automatique.

Dans cette répétition des sujets consacrés par la tradition, il y a à la fois les avantages et les défauts du style byzantin. À Constantinople, en particulier, où avec le temps vint à se concentrer presque tout l’art chrétien, et le plus brillant, il se forma, à partir de Justinien environ, tout un système des scènes à représenter, avec le canon déterminé des figures d’après leur rang et leur importance, et la manière dont le détail même devait être traité. L’adoption de ce système arrêté était naturellement pour l’artiste la fin de toute invention et de toute originalité. Il ne lui restait plus qu’à reproduire, et de telle façon qu’à la longue on n’accorda plus à la nature le moindre regard. C’est pourquoi, par exemple, il y a, de ce style, tant de Madones presque identiques ; c’est pourquoi les diverses représentations de la même scène se ressemblent presque absolument, et pourquoi certaines figures de saints se répètent indéfiniment toujours les mêmes. — Nous ne pouvons que regretter la mort de toute inspiration personnelle, mais cette conséquence était inévitable dans la domination d’un type immuable[1], fixé jusque dans les moindres détails. Il faut évoquer l’art des peuples orientaux, des Égyptiens par exemple, pour comprendre comment tout le domaine de la forme reste ainsi assujetti à une sorte de droit sacré. — À la base du système byzantin, il y a encore en partie des réminiscences antiques ; mais les formes se sont fixées et raidies. L’expression de la sainteté ne va pas sans un certain air morose, car on prend grand soin d’éviter d’éveiller l’idée du sapra-terrestre à l’aide de formes classiques et antiques. La

  1. Au xie siècle et dans les siècles suivants, l’art se propose des tâches nouvelles, telles que, par exemple, la représentation des martyres, etc., mais il les résout on se bornant à combiner des formules et des procédés déjà connus.