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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Je viens de dire que le sanscrit domine dans les compositions buddhiques du Nord : c’est là un fait que la découverte de la collection népâlaise a mis hors de doute, mais qui, tout incontestable qu’il est, ne peut être avancé sans quelques restrictions. Dans quel sanscrit sont rédigés ces livres ? Est-ce dans le style épique, ce style à la fois noble et simple du Râmâyana et du Mahâbhârata ? Est-ce dans la langue riche et colorée des compositions dramatiques ? Est-ce dans l’idiome monotone et un peu terne des Purâṇas ? Ou enfin est-ce dans la prose compacte, mais obscure, des commentateurs ? On comprend sans peine quel usage la critique historique ferait d’une réponse affirmative, s’il était possible d’en donner une à telle ou telle de ces quatre questions. Mais la réponse ne peut être affirmative sur aucun de ces points, car les livres buddhiques ne sont écrits dans aucun de ces styles. Ils sont composés avec des mots sanscrits souvent pris dans des acceptions nouvelles, et surtout combinés en vertu d’alliances insolites qui étonnent un lecteur familiarisé avec les œuvres de la littérature des Brâhmanes. La langue a, chez les Buddhistes, suivi la marche des idées ; et comme leurs conceptions diffèrent sensiblement de celles des Brâhmanes, leur style est devenu très-différent du style savant de ces derniers. Cette observation s’applique rigoureusement à la collection canonique tout entière ; les seules exceptions qu’elle rencontre se trouvent dans des livres qui se présentent avec un caractère plus moderne, ou qui sont attribués à des auteurs plus ou moins connus. Ces livres ou ressemblent beaucoup aux Purâṇas brâhmaniques, ou sont écrits dans le style des commentateurs et en un sanscrit assez correct. Il résulte de là que plus les compositions buddhiques s’éloignent des temps où ont été rédigés les livres marqués du caractère de l’inspiration, plus elles se rapprochent du style classique des Brâhmanes ; tandis que plus elles remontent vers ces temps, moins elles ressemblent aux modèles variés que nous a conservés la littérature orthodoxe[1].

C’est dans la classe des livres inspirés que se placent les Sûtras, les seuls livres dont nous ayons à nous occuper en ce moment, et c’est aussi leur style

  1. En appelant orthodoxe la littérature des Brâhmanes, je me place au point de vue indien, et je pense qu’il n’y a rien dans l’emploi de cette expression qui soit contraire à l’histoire, puisque pris à son origine, le Buddhisme était hétérodoxe, en ce qu’il niait l’autorité des Vêdas brâhmaniques. Je désirerais que cette observation pût me mettre à l’abri du jugement sévère que M. Schmidt a porté contre cette opinion, lorsque s’appuyant sur l’immense extension qu’a prise et conservée le Buddhisme, il déclare « tout à fait contraire à la philosophie et presque risible » l’emploi de ces expressions d’orthodoxe et d’hétérodoxe, « dont se servent avec beaucoup de gravité les Anglais, et que répètent avec tant de naïveté des savants français et allemands. » M. Schmidt n’a pas plus d’indulgence pour la dénomination de sectaires qu’on a quelquefois appliquée aux Buddhistes, et qu’il déclare non moins absurde. (Mém. de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 45, note.)