admettre la possibilité de cette délivrance actuelle, de cet affranchissement relatif, qui ne tendait à rien moins qu’à détruire, dans un temps donné, la subordination des castes, en ce qui touchait la religion. Voilà comment Çâkyamuni attaquait dans sa base le système indien, et pourquoi il devait arriver un moment où les Brâhmanes, placés à la tête de ce système, sentiraient le besoin de proscrire une doctrine dont les conséquences ne pouvaient leur échapper.
Je ne crois pas que ce moment fût encore arrivé à l’époque où les Sûtras que j’ai analysés plus haut ont été rédigés ; ou plutôt je pense que ces Sûtras, à quelque époque qu’ils aient été écrits, nous ont conservé une tradition antérieure à la séparation violente des Buddhistes d’avec les Brâhmanes. Ces traités nous montrent Çâkya exclusivement occupé à former des disciples, des adeptes, des imitateurs enfin de sa vie morale et exemplaire. Ce qu’il cherche avant tout, c’est à s’entourer de disciples qui répandent sa doctrine et qui convertissent les hommes à la vie religieuse, tout comme il les convertissait lui-même. Ces disciples, il les prend, ou plutôt il les reçoit de toutes les castes : Brâhmanes, guerriers, marchands, esclaves, tous sont également admissibles à ses yeux, et la naissance cesse aussi bien d’être un mérite que d’être un titre d’exclusion.
On voit maintenant, si je ne me trompe, comment il faut entendre ce célèbre axiome d’histoire orientale, que le Buddhisme a effacé toute distinction de caste. Les écrivains qui ont répété cette assertion l’ont vue vérifiée par la constitution politique des peuples chez qui règne aujourd’hui le Buddhisme. Cette vérification rencontre cependant une exception capitale, à laquelle on n’a pas fait une attention suffisante ; car si la distinction des castes est inconnue aux nations buddhistes du Tibet, du Barma et de Siam, elle n’en est pas moins très-solidement établie chez le peuple qui a le premier adopté le Buddhisme, chez les Singhalais. Je m’en réfère pour ce point au témoignage aussi unanime qu’irrécusable des voyageurs[1]. Cela ne veut pas dire qu’il y ait des castes buddhiques divisées en Brâhmanes, Kchattriyas, Vâiçyas et Çûdras ; le nombre des classes d’origine indienne est notablement réduit à Ceylan ; les plus élevées y sont à peu près inconnues, et là, comme dans l’Inde, on est ou Brâhmaṇa ou Bâuddha ; on ne peut être l’un et l’autre à la fois. Il n’en est pas moins vrai que l’existence des castes chez un peuple buddhiste est un fait très-remarquable, un de ceux qui, comme l’a justement indiqué Tolfrey[2], montrent
- ↑ Valentia, Voyages and Travels, t. I, p. 488, in-4°. Davy, Acc. of the inter. of Ceylon, p. 111. Forbes, Eleven years in Ceylon, t. I, p. 70 et 72. Upham, Mahâvansi, etc., t. III, p. 331. On trouve dans ces auteurs des listes des castes encore existantes à Ceylan.
- ↑ Valentia, Voyages, etc., t. I, p. 496.