Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
INTRODUCTION À L’HISTOIRE


Buddhistes, sont exprimées par la multitude des statues qui ornent les divers étages du Boro Budor de Java, et qui reproduisent toutes la figure d’un Buddha, soit méditant, soit enseignant[1]. L’image d’Avalôkitêçvara, qui paraît faire exception à ce principe, en confirme au contraire la vérité. Avalôkitêçvara, en effet, est un Bôdhisattva entièrement mythologique ; et on a pu apprécier, par l’analyse que j’ai donnée plus haut d’un Sûtra moderne[2], quelle influence les conceptions exagérées du Brâhmanisme populaire ont exercée sur le développement de sa légende. Qu’y a-t-il donc d’étonnant qu’on le représente au Tibet avec onze têtes et huit bras[3] ? Ici l’art a suivi la marche de la légende ; et comme l’idée qu’on s’était faite d’Avalôkitêçvara avait été prise en grande partie dans un ordre de croyances étrangères au Buddhisme primitif, de même l’image par laquelle on a voulu exprimer cette idée a dû emprunter une partie de ses attributs à un système de représentations qui prétend faire des Dieux avec des hommes monstrueux et gigantesques.

Ce respect pour la vérité humaine du Buddhisme, qui a empêché les disciples de Çâkya de transformer l’homme en Dieu, est bien remarquable pour un peuple comme les Indiens, chez qui la mythologie a si aisément pris la place de l’histoire. Il se montre avec une égale évidence dans le choix du second objet d’adoration reconnu par les Buddhistes de toutes les écoles. J’ai dit qu’avec l’image de Çâkya, ce qu’ils vénèrent exclusivement, ce sont ses reliques[4]. Ils leur donnent le nom expressif de Çarîra, qui signifie exactement corps. L’emploi qu’ils font de ce terme dans le sens spécial de reliques est tout à fait inconnu aux Brâhmanes ; il appartient à la langue des Buddhistes, tout comme l’objet qu’il désigne appartient à leur culte. C’est le corps même de Çâkya qu’on adore dans les débris qui en restent[5]. Ces débris recueillis sur le bûcher où avait

  1. M. G. de Humboldt a décrit et expliqué ce monument curieux dans un morceau écrit de main de maître, comme tout ce qui est sorti de la plume de cet homme éminent. (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 120 sqq.) Il faut voir encore dans l’ouvrage du même auteur la description des différences qui se trouvent dans la position des mains de ces nombreuses statues de Buddha. M. de Humboldt a fort ingénieusement rapporté ces différences aux Dhyâni Buddhas. J’avoue cependant que ces variantes de position peuvent être antérieures à l’invention et à l’adoration de ces Buddhas surhumains. (Ibid., p. 124 sqq.)
  2. Ci-dessus, sect. II, p. 198 sqq.
  3. Pallas, Sammlung. histor. Nachricht., t. II, pl. i, fig. 3, comparé avec Georgi, Alphab. tibet., p. 176 sqq.
  4. Il faut voir à ce sujet les remarques si exactes faites par le Rév. Hough, à l’occasion de la grande cloche de Rangoun ; il affirme positivement qu’il n’y a pas d’autre objet d’adoration chez les Barmans que la statue de Çâkyamuni et que les monuments qui renferment ses reliques, monuments que l’on regarde comme des représentants du Buddha. (Asiat. Researches, t. XVI, p. 280.) Quoique ces remarques portent uniquement sur le Buddhisme du Sud, je n’hésite pas à les rappeler ici, parce qu’elles s’appliquent avec une égale exactitude au Buddhisme septentrional.
  5. Je dois dire, pour être exact, que c’est au pluriel de ce mot (çarîrâṇi) que les Buddhistes