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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

listes, l’esprit n’est qu’une modification de la matière, et que l’ordre de l’univers, qui est un, est l’ordre physique[1].

Quoi qu’il en soit de ces difficultés, je n’en vais pas moins essayer de résumer ici ce que mes études m’ont appris sur l’importante théorie des causes et des effets. En parcourant cette partie de mon travail, le lecteur voudra bien se rappeler que je n’ai à ma disposition aucun commentaire, et que je ne possède pour éclaircir cette matière délicate d’autre secours que la comparaison de passages empruntés à divers traités, qui sont tous également obscurs, parce qu’ils ne sont d’ordinaire que la répétition les uns des autres.

Les personnes qui ont eu la patience de lire le fragment précité de la Pradjñâ pâramitâ y ont vu que les êtres et leurs qualités n’existent pas de la réalité que leur attribuent les hommes ordinaires. Les êtres actuels doivent leur existence à l’ignorance qui ne sait ce qu’ils sont, ou plutôt qui ne sait pas qu’ils n’ont pas d’existence réelle. Suivant cette doctrine, le point de départ de toutes les existences est l’Avidyâ, qui, comme je l’indiquerai plus bas, signifie à la fois le non-être et le non-savoir. Comment maintenant de ce non-être et de ce non-savoir sort l’objet qui est et le sujet qui sait ? C’est ce qu’a pour but de montrer la théorie des causes ou Nidâna, théorie qui reçoit le nom générique de Pratîtya samutpâda, « la production des causes successives de l’existence, » ou la production de ce qui est successivement cause et effet[2]. Il importe donc d’exposer les termes ou degrés au nombre de douze, par lesquels l’être phénoménal au fond sort du non-être ; mais au lieu de suivre le procédé de la Pradjñâ qui descend du non-être, c’est-à-dire de l’ignorance, je préfère marcher dans le sens inverse, et partir de l’état actuel de l’être pour remonter à son passé. J’ai d’ailleurs encore ici une autorité buddhique d’un grand poids, celle du Lalita vistara, qui nous montre Çâkyamuni s’élevant par la méditation à la connaissance de cette vérité, que tout vient du non-être, et partant de l’état actuel de l’être pour retrouver son origine. Je vais citer ce morceau, dans lequel il me paraît assez facile de saisir la marche de la pensée philosophique qui y domine, il est emprunté au chapitre où Çâkya, nommé dans le texte le Bôdhisattva, passe successivement par les divers degrés de la contemplation.

Alors il se rappela l’ensemble de ses nombreuses habitations antérieures, et celles des autres créatures, de cette manière : Une existence, deux, trois, cinq, dix, vingt, quarante, cinquante, cent, mille, cent mille, plusieurs centaines de mille, plusieurs Kôṭis, cent Kôṭis, mille Kôṭis, dix mille Kôṭis, plusieurs centaines de mille de Kôṭis, plusieurs centaines de mille myriades de Kôṭis, un Kalpa de la

  1. Europ. Specul. on Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. III, p. 500.
  2. Voyez, à la fin de ce volume, une note relative à cette expression. Appendice, n° VII.